Cinq semaines de planques, de groupes plus ou moins foireux et de questions existentielles et je me décidais enfin à être un homme *ahem* et à sortir de mon trou pour retrouver mes parents. C'est ce que Wade aurait voulu. Grand-frère, si tu m'entends, ce sera ta faute si je crève. Voilà.
J'étais sortie à l'aube, en me disant bêtement que les zombies, comme les humains, devaient bien dormir à un moment ou à un autre, et que l'aube était quand même moins flippante que la nuit. En plus je n'avais pas de lampe-torche. Enfin si. Il y avait bien cette lampe de chevet que j'avais ramassée dix minutes plus tôt, mais sans électricité où la brancher... VOILÀ HEIN.
Elle était chou quand même, en forme de petit dinosaure... mais je divague. Je connaissais mal ce coin de la ville. Mes parents avaient emménagés dans le nord d'Oakland à leur arrivée aux Etats-Unis, mais moi je n'avais que cinq ans et mes souvenirs se limitaient à la place de jeux devant notre immeuble et à l'école où j'avais appris l'anglais – en galérant, d'ailleurs. Par la suite ils s'étaient déplacés, mais j'étais bien obligée de traverser le quartier pour rentrer chez eux – chez moi. C'est comme ça que j'étais tombée sur le cinéma.

À une rue de là, il y avait la Piemont Avenue Elementary School, où j'avais fait mes classes et trouvé la fameuse lampe. Ben dites donc, ça avait vachement changé ! Je n'ai jamais pensé si fort comme une vieille qu'en entrant dans le bâtiment. "Les jeunes, c'est plus ce que c'était." Ouais, je confirme, ouais. Ils avaient pas l'air aussi putréfiés quand j'y étais. Bon, c'est ma faute aussi, d'avoir essayé de me planquer là-bas... bordel quand je repense à leurs petits visages décomposés (par la mort) et à leur cri déchirant (et déchiré. La gorge arrachée, ça pardonne pas) j'en ai encore des frissons, gargh. Tout ça pour dire que j'avais fui comme une lâche et j'étais maintenant essoufflée devant le ciné. Ni une ni deux, j'avais empoigné Denver le dinosaure (quoi mes références) et j'avais poussé la porte. Je ne me sentais pas en sécurité dans la rue et si ça se trouvait, y'avait encore du pop-corn ou des distributeurs de snacks à l'intérieur.

Me voilà donc à farfouiller dans le coin. La machine à pop-corn est bien là mais c'est cadenassé, argh ! C'est pas Denver qui va m'aider. Je vérifie autour des salles de ciné (j'vais pas entrer c'est tout noir) en quête d'un distributeur de nourriture, et ooh, miracle ! Des M&M's ! Bon c'est pas des snickers, je préfères les snickers, mais je vais pas faire ma difficile... C'est là qu'un bruit bizarre me fait sursauter.

– Aah !

Non, ça c'est moi. Le bruit était moins fort. Mais si c'était un zombie, je viens de me faire griller. Je prends Denver à deux mains et je me retourne en direction du bruit.

– J'te préviens si t'es mort tu vas te prendre un dinosaure sur le coin d'la gueule !

Parce que les zombies comprennent tout ce que vous dites, c'est bien connu ! Non, les gosses morts-vivants qui m'ont coursée jusqu'ici, c'est différent. Ce sont des enfants, et les enfants n'écoutent personne.

HJ:

Putain, je n’avais qu’une envie, crever en paix, et quand ce n’était pas cette salope de Tante Christie qui me pétait les oreilles avec ses ricanements de merdes, c’était quelqu’un ou quelque chose qui fouinait dans le coin. Surement un de mes disciples venus me dire « au-revoir » ... Ou plutôt « à bientôt copain ». Ouais, je n’allais pas tarder à les rejoindre, et je serai pour le coup le vrai Messie, celui qui arpente les rues et ruelles à la recherche de chair fraiche en compagnie de mes serviteurs macchabés. Une perspective peu réjouissante. Je regardais mes mains, pleine de sang, de mon sang. Cet enfoiré de soldat, je voulais l’aider, j’aurai pu le faire voler comme il le désirait... Au lieu de ça, cet ingrat s’était retourné contre moi, pour essayer de me tuer ! Il m’avait laissé pour mort sur ce toit, exposé aux intempéries comme un vulgaire chien qu’on laisse dans le fossé ! Je le retrouverai cet enculé, et je le transformerai en l’un de mes disciples ! Je le saignerai comme un cochon et j’attendrai près de lui qu’il se transforme, et quand il sera sur le point d’expirer pour la dernière fois, je me foutrai bien de sa gueule COMME CETTE SALOPE DE TANTE CHRISTIE QUI N’ARRETE PAS DE SE MARRER !

« MERDE ! »

Je me redressais. Quelqu’un venait de parler. Je n’avais pas tout comprit, j’étais dans le coltard, pire qu’un lendemain de cuite. Un dinosaure ? Qu’est-ce que c’était que ces conneries de fête foraine ? Comment être lucide avec du sang en moins et une plaie béante dans le bide ? J’avais gagné un canif dans l’opération, mais ce n’était pas l’affaire du siècle. Autant me suicider avec ce petit bout de lame pour en finir rapidement. Mais j’avais bel et bien entendu quelqu’un, aussi une petite étincelle d’espoir renaquit en moi. J’étais sauvé ! Ou encore plus mort que je ne l’étais... Avec une pénibilité non feinte, je me redressais complètement pour me lever. Ils étaient confortables ces putains de sièges de cinéma. Et dire qu’avant cet apocalypse dantesque, on ne me laissait jamais rentrer dans ce temple du septième art. Interdit de cinéma comme ils disaient, tout ça parce que j’avais cassé la gueule à ce petit prétentieux binoclard qui n’arrêtait pas de faire chier à bouger dans son siège. C’était de ma faute s’il était trop grand ?

Je titubais donc jusqu’à l’allée centrale pour remonter les marches et me rendre vers l’espace d’accueil, où se trouvaient les caisses et autres joyeusetés de ce genre. Peut être que quelqu’un était entrain de piquer la maille dans les tiroirs. C’était une bonne idée ça ! Comme ça quand tout serait fini, j’en aurai plein les poches et je pourrais me tirer de cette ville de merde, loin du cercueil de ‘Man et de Tante Christie. Je sortais de la pénombre et je me dirigeais vers une silhouette dans le noir.

« Tante Chrisite ? C’est toi espèce de saloperie de salope ? »

Je commençais à divaguer sévère ! Avec mes conneries, la personne allait me prendre pour un cadavre ambulant désireux de se repaitre de sa petite peau tendre et juvénile. MIAM !!

Armée de Denver le dinosaure-lampe-de-chevet-vert-pomme, que je soulevais au-dessus de ma tête comme une batte de baseball, j'entendais des pas approcher. Des pas traînants. Crissant sur la moquette encore propre du ciné. Irréguliers, comme ce souffle erratique. C'en est un. C'en est un !
J'avais envie de détaler en courant mais mes jambes ne répondaient plus, j'étais figée dans cette posture débile de... joueuse de baseball ? Pathétique. Derrière mes airs de guerrières j'étais juste flippée, car il fallait avouer que je n'avais encore jamais eu affaire à ces trucs d'assez près pour, disons... les frapper directement ? Pardon mais moi je cours, madame ! Je ne démontais pas leur faces décomposées à coups de lampe. À la rigueur avais-je balancé des trucs sur eux dans ma fuite... des meubles, des déchets... Sûrement que je n'en avais jamais tué. Et ce n'était pas avec Denver que ça allait changer ! Quoique... si je frappais fort et longtemps... en étais-je capable ?

*Ces trucs ne sont pas vivants*, me répétai-je. L'avaient-ils été ? Probablement. Mais ce n'était pas le moment de faire dans les sentiments. *Frappe !* Alors je prends mon courage à deux mains, enfin surtout Denver... et je me lance sur le truc qui titube dans l'obscurité en hurlant mon plus beau cri de guerre, l'arme prête à frapper :

– HOME-RUUUUUUUUN !
– Tante Christie ? C’est toi espèce de saloperie de salope ?

... nous venons d'éviter le meurtre. Ma main gauche vient trouver le mur et je m'y appuie pour arrêter ce que nous appellerons ici "un dérapage contrôlé mais pas tant que ça". Je relève la tête :

– PUTAIN DE MERDE MAIS T'ES VIVANT ?

Je soulève légèrement Denver et garde mes distances, tout en cherchant du regard un interrupteur, n'importe quoi. Même une prise sur laquelle brancher mon dino ! J'oublie que le courant a été coupé...

– C'est qui ça, Christie ? Elle est avec toi ? ... non, laisse tomber. Je n'avais vu personne mais ce n'était pas la priorité, vu son état... pauvre type. Ça va mec ? T'as l'air sur le point de clamser. Tu veux t'asseoir, p'têtre ?

Je lui dois bien ça vu que j'allais lui défoncer le crâne avec un dinosaure en plastique. Je ne dis pas que c'est l'arme ultime, mais dans l'état du pauvre vieux... Je ne m'attarde pas sur sa plaie. C'est dégueu, y'a du sang partout. J'ai trop vu ça ces derniers jours et j'ai déjà eu ma dose de gore. Je suis pas sortie de l'auberge évidemment, mais si je peux éviter d'imaginer ce qui m'attend au-dehors pendant un instant...

– Tu sais si le périmètre est sécur', t'as pu jeter un œil ?

La question qui me pend au lèvres est bien sûr : "est-ce que c'est un zombie qui t'a découpé le bide ?", non parce que je m'inquiète d'une potentielle contamination (c'est possible ?) mais parce que son agresseur est peut-être encore dans le coin... L'inconnu a l'air sur le point de clamser, plein de sang et pâle comme la mort, alors à choisir je prendrai mes jambes à mon cou. Mais tant qu'il n'y a pas de danger, je ne risque rien à rester dans le coin. J'ai toujours pas eu mes snickers, en plus !

Si les yeux avaient pu me sortir de la tête comme dans de célèbres dessins animés, ils l’auraient sans doute volontiers fait, accompagnant mon expression de terreur inconsidérée. Mais qu’est-ce que cette personne avait à gueuler comme ça comme une dingue ?!

« J’AI L’AIR MORT MERDE ?! »

C’était surtout la peur qui me faisait gueuler et dans les aiguës en plus, bien que d’habitude, je n’y manquais pas pour un rien, surtout quand il s’agissait de GUEULER APRES UNE CERTAINE SALOPE ! C’est vrai, cela se passait souvent dans mon petit bourrichon blond plutôt qu’à l’oral. En fait, je devais avoir l’air mort, à n’en pas douter. Démarche claudicante, teint blême, du sang partout, les yeux vitreux, il en fallait souvent pas plus à un type saint d’esprit pour arroser de plomb pareille créature. Heureusement pour moi, ce gars là semblait armé d’un truc ressemblant vaguement à un dinosaure. Haha la bonne blague ! N’empêche qu’un peu plus, il m’arrachait la tête avec sa merde en plastique ! V’la ti pas qu’il me posait quelques questions. Normal après tout. Mais j’avais un espèce de tournis pas très cool qui me donnait la gerbe. Je tentais quand même tant bien que mal de répondre.

« Tante Chrisite ? C’est une salope, laisse tomber, elle te baissera dans tous les sens du terme ! SALOPE ! » Ouais, je voulais bien m’asseoir. Je prenais appuis sur un tabouret qu’on retrouvait parfois dans les bistrots, mais aussi devant certains petits stands d’attentes où l’on pouvait patienter avant la séance du jour du dernier blockbuster à la mode, en mangeant des sucreries et en buvant des sodas. « Me suis fait ouvrir le bide par un militaire… Autant dire que ce n’est pas la forme. L'important, c'est que mes tripes ne sortent pas. » Au moins, ce gars là saurait que je n’avais pas été mordu par un de mes disciples et que par conséquent, je n’étais potentiellement pas infecté. Une grande nouvelle pour l’Amérique !

J’haussais des épaules à son autre question. Périmètre sécurisé ? Surement pas. Le seul œil que j’avais jeté, c’était sur cet enculé de merdeux en treillis qui essayait de sauter du toit. Et pourquoi que je ne l’avais pas poussé ce con ?! « Aucune idée fiston, j’étais sur le toit quand c’est arrivé et j’ai eu toutes les peines du monde à redescendre de là. » Peut être que Bart, le militaire au grand cœur, était toujours dans le coin. Fallait espérer que non. Soudain, je devenais méfiant, en repensant à ce soldat et à sa gentillesse qui s’était révélée feinte.

« Dis, t’essayerai pas de m’amadouer pour me violer ensuite ? »

Ouais, toujours les grands mots. On ne change pas une personnalité qui gagne !

- J’AI L’AIR MORT MERDE ?!

Tout compte fait... non. Il bouge, il parle... crie. Alors ça me semble plutôt encourageant. Enfin sauf que s'il continue à crier ses tripes vont aller voir ailleurs s'il y est. Mes yeux se séparent, un pour regarder si il perd son estomac par le nombril, un autre pour regarder le plafond parce que... berk.

- Disons pas mort... « presque-mort » peut-être?

- Tante Chrisite ? C’est une salope, laisse tomber, elle te baissera dans tous les sens du terme ! SALOPE !

Le monsieur s'assoit, l'air un peu vacillant. J’hésite à poser Denver pour l'aider mais le temps que je réfléchisse il est déjà assis.

- Me suis fait ouvrir le bide par un militaire… Autant dire que ce n’est pas la forme. L'important, c'est que mes tripes ne sortent pas.

Qu'est-ce que je vous disais? Ses tripes sont de sacrées fugueuses... Comptez pas sur moi pour jouer à la gentille infirmière. J'corresponds plus à l'aventurier... Avec une lampe dinosaure en guise d'arme.

- C'est vraiment pas de chance... Dites, j'crois que votre intestin se fait la belle!

Il continue à me répondre, il m'appelle même « fiston ». Serais-je adoptée? Ma vie serait-elle un tissu de mensonges?

- Dis, t’essayerai pas de m’amadouer pour me violer ensuite ?

Aucun risque grand-père... Moi et Denver, on va plutôt ramasser tes bouts de ventre et aller voir si quelqu'un est pas tenté par un coup de lampe dinosaure nommée Denver?

- Bon, écoute, nous on va aller faire un petit tour histoire de trouver un bon film. Tu bouges pas?

De toute façon tu peux pas... Je fais demi-tour, mon arme fatale bien en avant, comme si c'était une croix capable de repousser le démon. Je quitte la pièce pleine de courage et de combativi... pleine de peur.