- Il y a quelqu'un ?

John lâcha le livre qu'il parcourait. La revue de médecine chuta de la table de lecture, heurta le sol dans un bruit sec, puis se referma sur lui même. Le son faible mais caractéristique se répercuta sur les murs de la pièce, dans le couloir attenant, jusqu'à l'entrée.

"Merde !", se dit-il tout en fermant les yeux.

John, après avoir survécu avec quelques uns à la contamination, à la sortie difficile de l'hôpital où il travaillait et avait laissé quelques compagnons d'infortune pour sa propre survie, passa les premières semaines de l'épidémie à survivre tant bien que mal. Avec Erlina, ils s'étaient planqués un temps dans son propre appartement, barricadé avec ce qu'ils trouvèrent.
L'électricité fut coupée.
Les denrées épuisées.
Ils décidèrent de sortir en semaine 5.
Dehors, c'était le chaos, pire que les images passant en boucle à la téloche auparavant. Se réapprovisionner allait s'annoncer des plus périlleux. La fatigue, la faim, le stress, l'énervement croissant, ils se séparèrent, chacun espérant trouver sa chance de son côté.

Il y eut de l'animation. Des raids de l'armée. John revint au quartier principal d'où avait démarré l'épidémie tant pour fuir les incursions militaires que pour chercher un abri là où peu penseraient à aller en premier.
A y réfléchir d'ailleurs, quelle planque serait idéale ? Où iraient les survivants à sa place ? A la recherche de nourriture, de boisson, de médicaments, d'armes, d'un lieu offrant des accès sécurisés telle une banque. Et quel lieu n'offrait rien de tout cela ? La bibliothèque !
Pour trouver un endroit où croisait le moins d'âmes possibles, c'était l'endroit propice.

John s'y rendit, passant les rues, les immeubles avec le plus de discrétion possible, art auquel il avait fini par exceller en ces lieux.
Le bâtiment s'offrait à lui. Visiblement déjà visité, les portes d'entrée scellées par un pied de biche. Quel était le message, qu'est-ce qui avait été enfermé ?

Par prudence, il ne toucha pas aux portes et fit le tour du bâtiment. Des fenêtres brisées mais à bonne hauteur, des portes de secours verrouillées de l'intérieur. Aucun zomb' ne pouvait visiblement y entrer. N'y en sortir ...
Bien qu'handicapé par sa cheville qui le faisait boiter, il rapprocha une grosse poubelle et l'escalada pour atteindre une fenêtre, observa l'intérieur et s'engouffra dans le bâtiment.

Il parcourut en silence les salles du Rez-de-Chaussée, mais les seuls êtres qu'il croisa furent des cadavres en décomposition avancée. Il en était là de sa recherche quand il aperçut le rayon Médecine&Sciences qui attira toute son attention. Pendant une bonne heure, il lut les tranches des livres aux reliures dorées, se remémora certains de ceux-ci qu'il avait eu l'occasion d'étudier durant sa scolarité. Les auteurs, les titres, les illustrations ... Noms et images volaient dans sa mémoire.
Il prit plusieurs ouvrages et les déposa sur la première table la plus éclairée par la lumière extérieure, formant deux tas. Il s'assit et prit un premier livre sur la première pile.

Les pages tournèrent dans ses mains. Il avait sorti son scalpel de la poche et s'en servit parfois pour suivre les lignes comme s'il s'agissait d'un stylo.

Il en était à son deuxième ouvrage en cours de lecture quand il entendit une voix appelée à l'entrée de la bibliothèque. La surprise de cette présence se manifestant après tant de jours passés seul le fit sursauter au point de lâcher sa lecture qui vint heurter le sol.

Après avoir juré, il fit silence. Écoutant les bruits, espérant que la personne face demi-tour et ne s'engage pas plus...

Un bruit. Je venais d'entendre un bruit. En même temps, si l'on réfléchissait posément, je me trouvais dans une bibliothèque au beau milieu de la période la plus troublée qu'ait connue Oakland. Donc entendre un vague bruit de chute d'objet ne devait, à priori, pas suffire à m'inquiéter.
Seulement voilà, une petite boule d'angoisse, vicieuse, sournoise, avait commencé à naître au creux de mon estomac. Serrant mon pied de biche à deux mains, je tentai de trouver en cette arme ridicule un semblant de réconfort. Cela ne fonctionna pas beaucoup et je ne me sentais toujours pas en sécurité. L'arme au poing, j'attendis les quelques secondes qui me permirent de vérifier la présence d'un râle, d'un traînement de pieds ou tout autre sonorité trahissant la présence d'une de ces horreurs.

Rien.

Je soupirai de soulagement. Intérieurement, je m'étais déjà faite repérer comme une idiote, je n'allais pas recommencer. Serrant davantage mon arme, j'avançai avec précaution dans la semi-pénombre de la bibliothèque. Un pas après l'autre, je regardai autour de moi, tentant de ne rien manquer au tableau qui se trouvait sous mes yeux. Je distinguai des tables, certaines branlantes, d'autres couvertes de livres, des ouvrages dont les pages arrachées traînaient de-ci de-là, des étagères renversées et des personnes mortes. Un frisson me parcourut avant de me rappeler le contexte dans lequel je me trouvais. Il y avait des monstres dans la ville. Des choses immondes, laides, sales, répugnantes dont le seul but était de manger les autres êtres vivants. Je devais me mettre en tête que les cadavres faisaient désormais partie du paysage, je devais m'y faire.

Etrangement, je me rendis compte que ce qui me dérangeait le plus dans ces cadavres était le fait qu'ils allaient probablement pourrir sur place et que personne ne s'occuperait jamais d'eux afin de les rendre beaux une ultime fois avant qu'ils ne soient enterrés ou incinérés. Je chassai cette idée de mon crâne. Que la thanatopraxie soit ma première pensée en voyant une pile de corps inertes et dépourvus de vie n'était pas un raisonnement digne d'une personne saine.

Je devais utiliser mon habitude des cadavres à mon avantage et les ignorer afin de conserver mon sang-froid et ne pas perdre l'esprit. Je ne devais pas me laisser perturber. Après tout, à l'école de thanatopraxie on avait eu des cas biens pires que ceux qui se trouvaient devant moi. Pourtant l'effet n'était pas le même. Sans doute était-ce dû au fait que les cobayes de l'école ne risquaient pas de se réveiller pour nous dévorer...

Je passai devant le rayon « Littérature », vérifiant qu'aucune créature ne s'y dissimulait. Mon esprit rationnel me soufflait que s'il y avait des cadavres vivants dans cette pièce, je les aurais repérés depuis longtemps mais une autre petite voix insidieuse me chuchotait que l'on n'est jamais trop prudent et qu'on ne sait jamais, ils pourraient être en train de dormir. Je ne savais absolument pas si ces créatures avaient besoin de sommeil mais je ne voulais écarter aucune possibilité.

Je passai devant le rayon « Langues étrangères » avec la même précaution. Toujours personne. À part des gens morts, mais ils semblaient le rester, ce qui était plutôt rassurant. Je me demandai si je devais me rendre au rayon « Sciences et Médecine » pour trouver les réponses que je cherchais ou si le rayon « Horreur/Fantastique » était plus approprié. Je vis que les ouvrages de médecine étaient plus proches et m'y dirigeai.

Trop occupée à regarder autour de moi, je ne vis pas le bras du cadavre qui dépassait d'une étagère sur le sol, sournois serpent invisible, obstacle traître. Je trébuchai et tombai au sol tandis que mon pied de biche m'échappa des mains et tomba à son tour dans un fracas métallique retentissant.

-Putain de merde ! ne pus-je m'empêcher de retenir tandis qu'une vive douleur naissait dans mes genoux.

John n'avait pas bougé pendant que le nouveau visiteur s'était doucement et lentement rapproché de son rayon. Il garda les mains à plat sur la table, le scalpel aligné le long de sa main droite, prêt au cas où.
C'est alors que passa un corps fluet surmonté d'une tête rouge dans le sens vertical du haut vers le bas, venant s'étaler à quelques pas de lui et en lâchant un juron qui venait du fond du cœur.
Visiblement, elle était seule, un peu paumée, maigrement équipée, mais avec du cran. Était-elle venue ici sur les mêmes principes que lui ou l'avait-elle suivi ? Après tout, de la compagnie ne serait pas de refus.

Elle n'était qu'à quelques pas qu'il franchit en silence. Se penchant sur elle avec les deux mains tendues pour l'aider à se relever la fit sursauter.

"John.", dit-il rapidement pour les formalités de présentation. Il arborait encore sur lui sa blouse blanche de l'hôpital où son nom était badgé (John Doe), des traces de sang séché, frottées à la main. Il étendit un bras pour lui montrer son occupation du moment. Le scalpel -instrument reconnaissable par un thanatopracteur- était resté sur la table ainsi que deux piles de livres sur la médecine essentiellement. "Je bouquinais."

Il préféra ne pas poser de questions pour laisser la petite rousse dévoiler ce qu'elle souhaitait. Il l'examina juste rapidement des pieds à la tête pour se faire une petite idée de qui elle pouvait bien être dans une vie antérieure (bien que peu lointaine) et sa condition physique du moment.

Me maudissant, maudissant ce bras répugnant qui m'avait faite tomber, maudissant cette bibliothèque et maudissant l'univers tout entier, je m'apprêtai à me relever quand je sentis que quelqu'un le faisait à ma place. Retenant de justesse un cri de surprise, je me contentai d'un simple sursaut lorsque sa main entra en contact avec mon bras tandis que ce dernier se couvrait de chair de poule. Une fois debout, je dévisageai l'inconnu rapidement. Plus vieux que moi, une blouse blanche (un médecin sans doute), des traces de sang sur les vêtements... Oh mon dieu est-ce que cet homme était un meurtrier ? En tous cas, c'est ce qui me vint à l'esprit avant de rappeler que, moi aussi, j'avais du sang dessus. Quand on tire à bout portant dans la tête d'un monstre, ça éclabousse... Décidément, je ne parvenais pas à me faire à l'idée de la situation.

L'homme me donna son nom. John. J'aurais aussi pu le deviner en lisant la plaque de sa blouse mais au moins cela montrait que j'avais affaire à quelqu'un de civilisé. Ou tout du moins qui connaissait les normes minimales de politesse lors d'une première rencontre. Il bouquinait, me dit-il. Logique, dans une bibliothèque. Mais que pouvait-il bien y avoir à « bouquiner » dans le rayon Médecine ? Généralement, c'était le genre d'ouvrage que l'on consultait pour le travail et non pour le plaisir. Bon, il faut bien avouer qu'il a pu m'arriver de lire des bouquins de thanatopraxie pour me distraire et admirer des photos de corps préparés pour la cérémonie en rêvant d'atteindre un tel niveau de maîtrise. À moins que cet homme ne fut là pour la même raison que moi, trouver des informations sur cette épidémie étrange qui ravageait la ville ?

En tous les cas, il me paraissait bizarre et je ne voulais pas rester trop longtemps enfermée seule dans un grand bâtiment vide avec un vieux type louche. Reprenant contenance, j'affichai le plus beau sourire qu'il m'était possible de faire et lui répondis :

-Juliette. Je ne m'attendais pas à croiser quelqu'un ici. Je suis venue chercher des informations sur les... choses qui rôdent dehors. Peut-être en savez-vous plus que moi à ce sujet et pourrez-vous m'aider ?

Voilà. Un parfait exemple de politesse et de savoir-vivre. En espérant qu'il m'apprenne tous ce dont j'avais besoin et que je puisse me tirer d'ici vite fait...

Le visage de John se décomposa. Ce n'était pas le regard d'un type qui penserait "mais c'est qui cette folle qui veut étudier les zomb' !?". A la surprise, bouche béate, il présentait une expression d'admiration. Que quelqu'un d'autre qui lui s'intéresse à ces êtres l'épatait. Qui était cette femme ? Médecin, scientifique ? S'enquérait-elle d'information pour son propre compte uniquement ?
Il hésita. Il tapota le bord de la table pendant qu'il réfléchissait.
Voilà plus de 5 semaines que la contagion a démarré. Il était aux premières loges, avait réalisé une autopsie sur un des tous premiers spécimens, continué ses études sur d'autres. Toutes ces informations collectées dans sa tête et se présentait à lui quelqu'un qui était intéressé par de telles recherches.
L'occasion était trop belle, il avait enfin un auditoire qui sera toutes ouïes.

"J'ai ... J'étais à l'hôpital quand tout a commencé, j'ai pu en avoir un sous la main pour ... l'étudier."

Il se retourna et alla quérir le livre ouvert. Des illustrations de cerveaux humains, différents plans, différentes coupes. Commentaires, analyses, descriptions des fonctionnements internes. Synapses, neurons, circulation sanguines, fonctions de chaque élément du cortex cérébral. Il le tourna et désigna une région sub-cranienne.

"C'est là. Après la mort et leur ... résurrection, c'est là que subsiste l'activité cérébrale."

Visiblement intéressée, il se lança vis à vis de la prénommée Juliette dans la narration complète de toutes ses confrontations avec ces zomb', en particulier la morte qui s'était relevée à la morgue où il travaillait. Son combat contre elle, sa dissection et les premières conclusions qui en avait tiré. Il ne parla pas des survivants qu'il côtoya, partie la moins intéressante pour lui de ces dernières semaines. Il crût deviner de sa comparse qu'elle n'était pas médecin.

"Vous voulez que je vous montre deux-trois autres trucs ?"

HRP:

Ainsi tout se jouait dans le cerveau... Cette nouvelle information me fascinait. Cela devait sembler évident pour la plupart des gens qui avaient grandi baignés dans une pop-culture remplie de zombies et autres monstres de cinéma, mais pour moi tout cela était nouveau. Les films d'horreur avaient toujours été proscrits de la demeure familiale car mon père considérait qu'il n'y avait rien de plus monstrueux que l'être humain et que c'était déjà suffisant. Une fois pourtant j'avais passé outre l'interdiction. Mon frère avait ramené de l'école la cassette d'un film de morts-vivants et nous avions profité de l'absence de nos parents pour la regarder en secret. Mais quand on vit entourés de cadavres, il est rarement bon de mettre dans l'esprit d'une enfant que ces cadavres peuvent revenir à la vie avec pour seul objectif de nous dévorer. Afin de préserver ma santé mentale, mon sommeil et ne pas mourir de peur à chaque instant, j'avais pris la résolution d'écarter ce genre-là de ma culture cinématographie, littéraire et n'importe quel média qui pouvait le contenir. Je songeai qu'il aurait mieux valu que je dépasse ma peur et m'informe davantage. Cela m'aurait évité d'être aussi perdue.

-Vous voulez que je vous montre deux-trois autres trucs ? me demanda le-dit John.
-Volontiers, répondis-je, en de telles circonstances, on ne peut pas avoir trop d'informations. Surtout quand ces informations peuvent vous éviter une mort atroce. Parce que je dois vous avouer qu'il y a des choses que je ne parviens pas à comprendre. Parce que, admettons qu'après la mort, la partie la plus primaire du cerveau se réveille, leur permettant de se déplacer et d'avoir un instinct de survie lié à la faim, comment cette partie parvient-elle à fonctionner sans le reste ? Parce que j'ai vu des... choses qui avaient les poumons transpercés et un autre dont l'estomac pendait hors de son ventre avant de se détacher sans que cela ne le gêne.

Je frissonnai de dégoût à l'évocation de ce souvenir répugnant avant de poursuivre :

-Donc j'en ai conclu que ces créatures n'avaient pas besoin de respirer ni d'avoir de système digestif pour survivre. Dans ce cas, comment cette région du cerveau peut-elle être oxygénée ? Ou comment fait-elle pour ne pas dépérir sans recevoir d'air ? Et la nourriture qu'ils mangent, où va-t-elle ?

Je pris conscience que j'avais beaucoup parlé, ce qui était très impoli.

-Excusez-moi de poser autant de questions mais cette situation est si... inhabituelle. Vous ne trouvez pas ?

Mes recherches !:

Juliette était avide de réponses sur de nombreuses questions très pertinentes. Elle était l'élève et lui le professeur, en cours particulier. En cela, elle ne le dérangeait nullement, bien au contraire ! John avait étudié ces créatures par goût pour le côté morbide de ceux-ci plutôt que pour un réel intérêt scientifique. S'il devait un jour consigner par écrit toutes ses recherches ce serait pour lui même et non pour le partager avec le reste du monde. Il ne pensait pas un seul instant aux bienfaits pour l'avenir de l'humanité que cela pourrait faire.
Quant aux motivations de son élève, il ne les connaissait pas. Une férue de sciences ou, comme lui, éprouvait-elle un certain attrait pour ces créatures ? Elle évoquait le besoin de les connaître pour mieux les affronter, mais il y avait autre chose ... Bref. Il l'avait laissée l'interroger. Il se sentait proche d'elle comme jamais il ne l'avait été auparavant envers un quelconque autre humain quelque soit son sexe. Il avait envie de se confier maintenant, d'ouvrir son esprit.

Laissez moi vous corriger sur un premier point important : il ne s'agit nullement de morts qui se réveillent. Quand un humain "contaminé" meurt d'une façon ou d'une autre, ses fonctions cérébrales s'éteignent les unes après les autres jusqu'à ce qu'il ne reste plus que quelques zones.

Il pointa du doigt sur une illustration de cerveau les zones qu'il avait identifiées comme encore fonctionnelles "post-résurrection", essentiellement concentrées dans la partie basse.

Le cervelet. Réflexes moteurs et équilibre. Hypothalamus. Régule les sensations de faim et de soif. Le tronc cérébral. Contrôle les fonctions vitales du corps : battements de coeur, respiration, tension artérielle. Oubliez tous ces films de série B qui ont fait des zomb' des êtres vous pourchassant sans relâche. Ya zéro intelligence dans ces être là. Ils n'obéissent qu'à un dernier réflexe instinctif et primaire jamais assouvi de se nourrir. Voilà leur seule motivation qui les amènent à se relever et à chercher à manger et utilisant par automatisme leurs sens restants.

Dans une autre bouquin, il tourna rapidement les pages et trouva une autre illustration d'un corps humain présentant ses organes vitaux.

Pour vivre dans leur condition décérébrée au strict minimum, il leur faut un minimum de sucre à brûler. Les bons américains de cette ville nourris de fast-foods ont une bonne réserve en graisse facilement transformable en sucre. Pour l'oxygène, un minimum vital sera utile. Un demi poumon sera largement suffisant. Leurs organes sont quasi tous éteints. Les pores de leurs parois gastriques et pulmonaires sont totalement dilatées permettant une assimilation rapide et quasi totale dans le sang. L'apport de sucre donc manger ne sera pas contraignant. D'ailleurs, un humain peut tenir 40 jours sans manger ! Sans air, en revanche, leurs organes finiront par ne plus pouvoir fonctionner.

John fit une pause. Il n'avait jamais autant parlé depuis ... depuis longtemps. Juliette l'avait écouté attentivement et patiemment. Il n'avait malheureusement pas réponse à toutes les questions, il avait manqué de sujet "vivant" pour ne pas dire "animé" pour les disséquer. Il était rentré un peu plus dans les détails, fournissant des données techniques, ressortant de tête ce qui lui restait de son passage sur les bancs de la fac de médecine ou lors de son travail à l'hôpital, lisant plusieurs passages parmi sa sélection de livres. Il partagea avec Juliette ses convictions par rapport à la dégénérescence progressive des différentes cellules du corps, l'état résiduel des 5 sens, leurs comportements probables face à des situations particulières (par exemple : un zomb' peut-il se noyer, ressentir de la douleur, ...).
D'autres questions sur ces créatures lui étaient venues à l'esprit pendant qu'il fournissait toutes ces explications. Il se les nota dans un coin de l'esprit pour les analyser une autre fois. Du temps s'était écoulé, mais il ne saurait dire combien. Un quart d'heure, une demi-heure, une heure ? Plus encore ?

-Excusez-moi de poser autant de questions mais cette situation est si ... inhabituelle. Vous ne trouvez pas ?

Voilà bien une question qu'il ne s'était pas posé : qu'est-ce qui était à l'origine de tout ceci ? Il avait été pourtant à l'épicentre de la propagation de l'épidémie, travaillé au sein même de cet établissement, vu les premières créatures. Et non, il ne s'était pas demandé de quel enfer elles étaient sorties. La nature, le destin, Dieu, le Diable. Peu importait pour lui. D'ailleurs ... il haussa les épaules en signe de réponse.
Il voulait reprendre la discussion tellement le sujet le passionner. Il prit un livre, l'ouvrit et se pencha pour essayer de le lire. Merde ! Ca manquait de lumière ! La nuit tombait. Trop tard pour retourner à l'appart. Surtout maintenant que l'éclairage public était éteint ... Il proposa à Juliette de passer la nuit ici. Le lieu n'était pas des plus rassurants, mais les espaces étaient larges.
Des obstacles sonores. Voilà ce qu'il leur fallait. Il exposa son idée : mettre à intervalles pas trop espacés des objets qui, renversés, bousculés, feraient suffisamment de bruit pour les alerter de la présence d'un zomb' : une chaise ou un objet métallique en équilibre par exemple.

J'avais appris énormément de choses aujourd'hui. Des choses intéressantes, mais aussi vitales, qui me permettaient désormais de mieux comprendre à quoi j'avais affaire. L'homme (bien qu'ayant l'air très bizarre) en connaissait un rayon sur les créatures et me semblait être quelqu'un d'intelligent. Je ne savais pas encore si je pouvais lui faire confiance mais au moins j'avais quelqu'un d'intéressant avec qui discuter et ça, c'était toujours agréable.

Comme toujours lorsque je découvrais de nouveaux pans de savoir, je n'avais pas vu le temps passer et seul le fait que je n'arrivais plus à discerner les mots et les images des ouvrages que me montrait John Doe me fit prendre conscience que la nuit était en train de tomber. Il proposa de dormir sur place et, bien que l'idée de dormir seule avec un parfait inconnu ne me réjouissait pas, il fallait admettre que ce serait plus sûr que d'aller se balader de nuit dans la ville infestée jusqu'au plus profond de ses entrailles de ces parasites meurtriers.

-En effet, il me paraît évident de mettre des pièges sonores afin de nous avertir de la présence de ces monstruosités. Il y a suffisamment de quoi en faire ici. Puisque cet étage me semble vide, il vaudrait mieux mettre ces pièges devant les accès à l'extérieur (après les avoir barricadés, bien entendu) et ceux qui mènent aux étages supérieurs. N'oublions pas que la porte était fermée avec le pied de biche de l'extérieur donc ils doit sûrement y avoir des choses dans cette bibliothèque, dans les étages supérieurs. Il faut qu'on puisse les repérer s'ils décident de descendre nous rendre visite. Et pour être vraiment en sécurité, il faudrait trouver une pièce dans laquelle se réfugier, si possible avec une fenêtre donnant sur l'extérieur. On pourrait barricader la porte et la fenêtre tout en faisant en sorte de pouvoir ouvrir cette dernière rapidement en cas de problème afin de pouvoir s'enfuir mais il faut éviter que d'autres puissent y rentrer. Qu'en pensez vous ?

Lorsqu'il proposa de passer la nuit ici, il avait bien ressenti que cela indisposait sa consoeur. Etait-ce lui ou ces lieux ? Sans doute les deux. Lui même aurait préféré se complaire dans sa solitude, mais Juliette s'était montrée tellement intéressée et même intéressante que sa compagnie ne devrait pas s'annoncer déplaisante.

-En effet, il me paraît évident de mettre des pièges sonores afin de nous avertir de la présence de ces monstruosités. Il y a suffisamment de quoi en faire ici. Puisque cet étage me semble vide, il vaudrait mieux mettre ces pièges devant les accès à l'extérieur (après les avoir barricadés, bien entendu) et ceux qui mènent aux étages supérieurs. N'oublions pas que la porte était fermée avec le pied de biche de l'extérieur donc ils doit sûrement y avoir des choses dans cette bibliothèque, dans les étages supérieurs. Il faut qu'on puisse les repérer s'ils décident de descendre nous rendre visite. Et pour être vraiment en sécurité, il faudrait trouver une pièce dans laquelle se réfugier, si possible avec une fenêtre donnant sur l'extérieur. On pourrait barricader la porte et la fenêtre tout en faisant en sorte de pouvoir ouvrir cette dernière rapidement en cas de problème afin de pouvoir s'enfuir mais il faut éviter que d'autres puissent y rentrer. Qu'en pensez vous ?

Waow ! Quel débit ! Décidément non, elle n'était vraiment pas rassurée à l'idée de dormir à la bibliothèque au point de peaufiner tous les détails de leur confort et leur sécurité pour la nuit. Au moins, elle avait les idées claires et pensait à tout. Il y en avait dans sa petite tête rousse ! Mais elle n'était pas médecin, ça, il en était sûr. Il se saisit du bras cadavérique qui l'avait fait chuter et le jeta négligeamment au loin tout en observant discrétement sa réaction. Effrayée, mais pas écoeurée. Pas médecin, mais la confrontation avec le sang et la mort semblait être banale pour elle. Ptêt sapeur pompier ? Ambulancière plutôt ?
Revenons en aux conditions pour les heures à venir avant le retour du soleil. Juliette proposait une salle pour s'y calfeutrer avec issue de secours, une fenêtre par exemple. Hmmm....

Il y a une salle d'archives pas loin, mais en tant que telle, elle aura sûrement des barreaux aux fenêtres. Les toilettes ... Oublions. Il doit bien y avoir des petites salles de repos ou de lecture. Allons voir de ce côté.

Il rangea son scalpel dans une poche de blouse et prit sous le bras gauche 3 bouquins. De son pas claudiquant, il se rendit ensuite dans le couloir menant à une autre section de la bibliothèque. D'un côté les toilettes et l'ascenseur éteint. De l'autre côté, 2 portes.

Si on vient à en croise, pas la peine de paniquer. Souvenez-vous, ils agissent instinctivement pour assouvir leur faim. Aucun calcul dans leurs mouvements qui peuvent être facilement anticipés.

Il se saisit d'une poignée de porte.

Vous travailliez d'en quoi avant ?

HRP:

Après avoir saisi deux ou trois livres qui m'intéressaient parmi la pile amassée par John, j'emboîtai le pas à ce dernier et le suivis dans le couloir qui menait à l'ascenseur. Pas question de prendre ce dernier toutefois, le risque de croiser des monstres aux étages était trop grand. Et de toute façon, en arrivant à sa hauteur je vis qu'il ne fonctionnait pas. Avant d'ouvrir l'une des deux portes qui nous faisait face, l'homme qui me tenait compagnie me demanda :

-Vous travailliez dans quoi avant ?
-Je ne travaillais pas, répondis-je avec sincérité. J'étais étudiante. Bon, avant j'aidais mes parents dans leur entreprise mais je crois que ce temps-là est révolu. J'étais à l'école de thanatopraxie, en  troisième année. Sans vouloir me vanter, on peut dire que j'étais la meilleure de ma classe. En tout cas, j'avais les meilleures notes. Même si maintenant ce n'est plus très utile. Enfin, essayons de voir si cette salle correspond à nos attentes.

Mais lorsque John Doe tenta d'ouvrir la porte, celle-ci offrit une résistance après s'être entrebâillée de quelques centimètres seulement. Prenant mon pied de biche à deux mains, j'exerçai une pression afin de forcer cette maudite porte à s'ouvrir et, avec l'aide de John, nous parvînmes à faire voler en éclat la maigre planche qui avait servi de barricade à la porte. À l'intérieur, nous découvrîmes une salle de lecture dotée d'une fenêtre (brisée), de tables (renversées) et de chaises (éparpillées dans tous les sens) et, à part quelques traces de sang et un cadavre, l'endroit était totalement vide et aurait pu correspondre parfaitement à nos attentes. Aurait pu.

Car sur la gauche de la pièce se trouvait une porte. Une porte qui communiquait certainement avec la pièce d'à côté qui possédait l'autre porte du couloir. Pourquoi faire communiquer ces pièces ? Je n'en avais aucune idée. Mais si j'avais tenu l'architecte de génie qui en avait eu l'idée, j'aurais tout fait pour lui faire comprendre que c'était à la fois stupide et inutile. Et, dans le cas présent, mortellement dangereux.
Car la porte en question était à moitié défoncée et seules quelques planches maladroitement accrochées empêchaient la dizaine de créatures qui se trouvait derrière de se jeter sur nous. Sans doute fut-ce le fait de nous voir qui donna une flamme nouvelle à ces corps désincarnés jusque-là tranquilles, mais en tous les cas, cela leur donna assez d'énergie pour se débarrasser des planches qui leur barrait la route et de se diriger vers nous.

-Si je dis qu'ils vont venir nous bouffer, ça compte comme de l'anticipation de leurs mouvements ?

HRP:

Thanatopracteur ! C'était donc ça ! Le commun des gens parleront de croque-morts, fossoyeur et feraient erreur. Quel bel art que de préparer les défunts à passer dans l'au-delà en conservant leur corps intact, embaumé. Cette fille, décidément, lui plaisait !

Ils allaient pour pénétrer dans la salle mais elle était barricadée de l'intérieur, une planche. Fort heureusement, Juliette avait sous la main l'outil adéquat et la pièce semblait être au calme. Ce qu'ils constatèrent assez vite. Quoique ... un cadavre gisait au beau milieu de ce qui avait été un refuge sommaire. Une fenêtre brisée comme si les compagnons de celui-ci avaient fui à la hâte. Fui quoi ?

Une autre porte, donnant sur la pièce à côté. Celle-ci venait de s'éveiller. Un tumulte. La faible barricade de cette porte intérieure n'y tint pas et elle vomit vers eux une meute de zomb' affamées. Damned ! Il était trop tard pour se cacher dans un recoin. Fuir, il n'en avait pas la capacité physique. Les affronter dans la pénombre de ce début de nuit encore moins.

Il tira Juliette par la manche pour l'entraîner au milieu de la pièce. Quelle folie lui passait donc par la tête pour vouloir ainsi leur faire face ? Mais il avait sa petite idée en tête ...

" A table ...", murmura-t-il.

En rangs serrés pour passer la porte, d'un pas accéléré tellement leur appétit venait d'attiser leurs sens et les attirer dans cette salle où les odeurs de chair fraîche embaumait, les zomb' se dirigèrent droit sur eux.
Mais en chemin, il y avait là à terre, un mets tout prêt qui n'attendait plus qu'à être dégusté à pleines dents. Les premiers s'agenouillèrent, entourèrent le cadavre et festoyèrent dans des grognements, des bruits de mastication, de lambeaux de vêtements et de viande qui se déchirent. Ce spectacle sanguinaire ne fit pas trembler John. Il n'en perdit pas une miette.
Les zomb' avaient sous leurs crocs un vrai festin, à ne pas lâcher. Il était l'heure maintenant de rebrousser chemin avec précaution, ce n'était pas le moment de se faire repérer !

post édit:

Le membre 'John Doe' a effectué l'action suivante : Lancer de dés

'Dé de Réussite' : 17

Un miracle, une intervention divine ou peut-être juste la stupidité de ces créatures, toujours fut-il qu'elles préférèrent s'attaquer au morceau de viande froide déjà moisi étalé au sol qu'à nous.
Quand John m'avait tirée au milieu de la pièce, j'avais d'abord cru à un accès de folie. Pensait-il vraiment que nous arriverions à les battre, moi armée d'un simple pied de biche et lui de...  livres ? Certes, il avait son scalpel mais la portée ridicule de l'arme n'en faisait pas une solide chance de survie. Pas plus que mon pied de biche.

Enfin, sa tactique avait marché et l'attention des monstres désormais focalisée sur leur repas, nous pouvions décamper en toute sécurité. Enfin, sécurité, non, nous n'étions jamais en sécurité (surtout dans une pièce pleine de morts sur pattes) mais au moins avait-on à notre portée une chance de nous sortir vivants de cette situation et dans l'état actuel des choses, c'était ce qui se rapprochait le plus d'une certaine forme de sécurité. Ce fut donc avec précaution que nous sortîmes de la pièce en refermant la porte sans un bruit. Nous ne pouvions en revanche pas la barricader à nouveau, ce que je déplorai.

Trois choix s'offraient désormais à nous, que j'exposai à John en murmurant une fois que nous nous fûmes suffisamment éloignés :

-Maintenant qu'on sait que l'étage n'est pas sûr, on peut quand même essayer de chercher une autre salle qui correspondrait à nos besoins mais il faudra faire vite car ces choses peuvent sortir d'un instant à l'autre et ne nous laisseront que peu de temps pour mettre tout en place. Autrement, on peut sortir de cet endroit et affronter la ville de nuit. Ou sinon, on peut aller chercher un lieu sûr pour passer la nuit aux étages supérieurs, avec les risques que cela comporte. Je pencherais pour la troisième solution parce que même si elle est très dangereuse, désormais elle me le paraît moins que les deux autres. Mais vous, qu'en dites-vous ?

Ils avaient eu de la chance, il fallait l'admettre ! Son intuition et son instinct l'avaient guidé à faire un choix tactique osé. Ces créatures étaient plus bêtes qu'il ne se l'était imaginé. Mais d'après les conclusions de ses études et recherches sur les zomb', cela paraissait logique après tout. La faim les guide. Donnez leur à manger et ils vous laisseront en paix. Un cadavre pour dix c'était peu. Ils auront encore faim rapidement.
Maintenant qu'ils avaient quitté la salle infestée avec discrétion, il leur fallait trouver une nouvelle planque rapidement : la nuit tombait à toute vitesse en cette saison.
Juliette lui fit la liste des possibilités : trouver une autre salle à cet étage, en chercher une à l'étage supérieur ou tenter leur chance à l'extérieur. John estima qu'ils avaient déjà bien consommé leurs points de chance pour la journée, il n'avait pas envie de perdre du temps à chercher un endroit sûr avec le risque de faire de nouvelles mauvaises rencontres. Monter à l'étage était trop risqué : du monde en haut et ceux de derrière qui pourraient sortir d'un moment à l'autre, c'était un coup à se retrouver coincés au milieu des escaliers !
Ils se tenaient tous les deux au milieu du couloir. John tournait sur lui même afin de trouver la meilleure solution parmi les propositions exposées, et vite !

OK, la nuit tombe, nous sommes maigrement armés et pas taillés pour le corps-à-corps. On veut juste passer les prochaines heures dans un lieu cloîtré, le plus proche possible, pour tenir jusqu'au petit matin.

Vous n'êtes pas claustrophobe ?

John lui désigna l'ascenseur. Bien entendu il ne fonctionnait pas, mais ils pouvaient l'ouvrir à l'aide du pied de biche et refermait les portes derrière eux. C'était un ascenseur à usage prévu pour les personnes à mobilité réduite, les chaises roulantes. On pouvait y tenir aisément à 4 debout ou 2 assis à terre. Juste assez pour étendre les jambes, mais pas pour s'allonger entièrement. Pas le grand luxe, mais ça paraissait la meilleure option. Il était malgré tout de fabrication moderne : hormis au niveau des portes, les parois entre les deux étages ainsi que le plafond de la cabine étaient transparents. Ainsi, ils verraient le jour se lever. D'ailleurs, concernant le lendemain, ils aviseraient en fonction de ce qui roderait autour.
Il demanda à Juliette si elle adhérait à cette idée.

Moi, claustrophobe ? Hahaha, quelle idée ! Non, je n'étais pas claustrophobe. En revanche, je détestais les ascenseurs. Car se retrouver à dix ans coincée pendant trois longues heures dans une de ces boîtes de métal avec une mère en pleine crise de panique, ça laisse des marques. Depuis, j'ai préféré les escaliers. Evidemment, si je n'ai pas le choix, je peux prendre un ascenseur pour quelques étages mais l'idée d'y passer la nuit ne me ravissait pas particulièrement. Enfin, je n'avais pas le choix. La proposition était sensée et la meilleure option à notre disposition.

Attrapant mon courage et mon pied de biche, j'entrepris d'ouvrir les portes de ce maudit ascenseur. Utilisant tout mon poids pour faire levier, c'est après un bon litre de sueur évacué que l'entrée de la cage commença à s'ouvrir et nous laissa entrevoir la place sécurisée promise. En revanche, cette ouverture fit un bruit d'enfer et je demandai à John Doe de m'aider afin de faire avancer l'affaire le pus vite possible. Il ne fallait pas oublier que des êtres peu recommandables se trouvaient dans la pièce voisine et que le bruit risquait de les attirer. Non, le bruit ALLAIT les attirer. D'ailleurs, nous avions à peine opéré une ouverture assez grande pour se glisser à l'intérieur que je vis la porte de la fameuse pièce commencer à bouger. Nous ouvrâmes la porte un peu plus afin de ne pas se retrouver coincé en essayant de passer et je me glissai vers l'ascenseur qui me paraissait désormais beaucoup plus accueillant. Je lançai alors à John  :

-J'espère qu'on arrivera à fermer ces portes avant qu'ils n'arrivent...

Juliette s'était faufilée par l'entrebaîllement opéré par ses soins entre les deux portes de l'ascenseur. John, pas plus épais qu'elle et la poitrine en moins, s'engouffra tout aussi facilement dans la brêche.
Yavait plus qu'à refermer leur petit cercueil format luxe !
A l'hôpital d'Oakland où il travaillait, il empruntait plusieurs fois par jour l'ascenseur pour descendre et remonter de la morgue en sous-sol. Une fois, il s'était retrouvé coincé plusieurs heures avec un mort à acheminer. En attendant l'arrivée des pompiers, il lui avait tenu la conversation. Bref. Manipuler les portes du vieil ascenseur manquant de maintenance, il en avait fait plusieurs fois l'expérience. Si le mécanisme des portes étaient dur à forcer à la main pour actionner l'ouverture, il était plus facile pour la fermeture. John posa ses bouquins (qu'il n'avait pas abandonnés), plaqua ses mains à plat sur les parois et exerça une pression sur chaque porte pour les rapprocher l'une de l'autre et les enfermer dans cet espace réduit pour la nuit.

Le mécanisme avait fonctionné sans bruit. John garda la position, appuyant le front et le nez sur les portes et écouta. Il entendit les bruits de pas et grognements plus ou moins proches. Les dernières lueurs puis le noir complet. Toujours des bruits de va et vient. Les zomb' erraient sans but précis. Derrière lui, il crût discerner à l'oreille la respiration de sa camarade, peut être même son battement de coeur. Où était-ce le sien ?
Ils devraient faire un silence quasi complet tant que cela roderait derrière ces portes. Le bruit s'atténuait, aucun zomb' ne semblait porter d'attention particulière à leur planque.

Les voilà maintenant enfermés tous les deux dans cet espace confiné. John se retourna et se laissa glisser à terre étendant une jambe, son pied touchant presque le mur opposé où se trouver Juliette.
Il continua encore un instant à écouter la respiration de cette dernière, cherchant à la localiser dans le noir à l'oreille. A quoi pensait-elle maintenant ? Regrettait-elle d'être ainsi piégée avec lui ?

Ils pouvaient se permettre de parler à voix basse sans se faire remarquer. Mais il n'avait plus envie de taper la discut' à cette heure-ci et surtout si ça devait être fait à voix basse.

Reposons nous un peu en attendant l'aube.

Il n'y avait plus de marche arrière possible. J'étais désormais enfermée dans cet ascenseur dans lequel il régnait une obscurité peu rassurante ponctuée par les grognements les bruits de pas traînants des créatures qui rôdaient autour.
Une longue nuit nous attendait, dans l'inconfort exigu de la boîte en fer et le silence pesant nécessaire à notre survie qui ne manquerait pas se s'installer. Car mieux valait ne pas attirer l'attention sur nous et pour cela, le moindre mot devait être réfléchi avant d'être prononcé afin de ne pas faire plus de bruit que nécessaire.  

Le temps me semblait interminable. J'étais dans l'incapacité de trouver une position confortable car dès que je tentais d'étirer mes jambes afin d'augmenter mon espace vital, je rencontrais inéluctablement celles de John. J'abandonnai vite l'idée et me contentai de me recroqueviller sur moi-même, les genoux collés contre mon menton, attendant simplement que le temps s'écoule un peu plus vite. Je laissai mes pensées s'écouler dans ma tête en un flot continu, choisissant de m'attarder sur certaines, renvoyant d'autres profondément dans mon cerveau afin de ne pas y faire face. Car au plus noir de la nuit, ce sont des pensées aussi noires qui ressurgissent le plus facilement, parfois cruellement dissimulées sous d'autres pensées plus agréables. Le souvenir de soirées entre amies passées à rire et à s'amuser rappelant que ces dits-amis sont probablement morts, les petites joies d'un quotidien perdu remplacé par une vie fragile qui pourrait s'éteindre à tout instant. La satisfaction de dormir dans un lit aux draps fraîchement changés renvoyant au présent, à cet ascenseur glauque dont la seule compagnie résidait en un inconnu et des cadavres meurtriers.

Mais au moins, je pouvais éprouver un semblant de sécurité. Il y avait peu de chance que les monstres aient assez d'intelligence pour ouvrir spontanément les portes de l'ascenseur. Avec un peu de chance, lorsque le jour se lèverait ils seraient partis errer ailleurs, cherchant de la nourriture hors de ce couloir afin de nous permettre de nous enfuir.

La fatigue d'une journée à courir et me cacher et des nuits sans sommeil à craindre pour ma vie tomba sur mes épaules comme une chape de plomb. Malgré l'inconfort de ma position et mon angoisse permanent, l'épuisement qui me consumait prit peu à peu le dessus et je me surpris à somnoler. Dans un murmure, j'indiquai à mon compagnon d'infortune :

-Si les choses ouvrent les portes, ne me réveillez pas. Quitte à mourir, je préfère que ce soit dans mon sommeil.

Je sombrai dans les méandres de mes cauchemars nocturnes.

Juliette s'était recroquevillée sur elle même dans le coin opposée, plus pour conserver son espace vital que par quête de réconfort.
John en fit de même, pour moitié : ne pouvant plier complètement qu'une seule jambe. Lui non plus n'aimait pas partager son espace vital, comme avant et avec personne.
Sa colocataire d'ascenseur remua pendant un certain temps pour trouver la position adéquate, prononça une dernière phrase et s'endormit quasiment aussitôt.

Tendant l'oreille, il percevait son doux ronronnement de respiration apaisée. Il percevait également la déambulation traînante des zomb' de l'autre côté de la paroi, leurs grognements, les objets qu'ils cognaient sur leur passage. Il cherchait à deviner combien ils étaient, dans quelle direction ils se mouvaient. Il aurait aimé pouvoir les observer de ses yeux. D'ailleurs, il se prit à rêver d'en avoir une poignée sous la main, rien qu'à lui, confinés dans une pièce fermée avec parois de verre ou barrières hautes, telle qu'une cage de zoo. Dans de telles conditions, ils pourraient à loisir prendre plaisir à les contempler jour et nuit, analyser leurs comportements, les nourrir, les soumettre à des tests comportementaux. Tout cela pour sa propre curiosité strictement personnel.

Les bruits s'éloignaient. Voilà. Il était seul dorénavant avec cette jeune personne qui n'avait pas peur de la mort, que ce soit pour la contempler ou la confronter. Dans une autre vie, il aurait pu succomber à son charme. Mais qui sait... si elle continue à se montrer intéressante et intéressée, souhaitera-t-il un jour partager avec elle son rêve. Sur ces pensées, il s'assoupit à son tour.

Il fut le premier à s'éveiller alors que la luminosité changeait. Les premiers rayons de soleil pénétraient dans la bibliothèque à travers les hautes fenêtres de l'escalier. Les jeux de couleurs étaient assez magiques. Ce n'était cependant pas quelque chose qui pouvait réchauffer le coeur refroidi de John. Il ouvrit un des trois bouquins qu'il s'était trimballés jusque là, le hissant au-dessus de la tête pour pouvoir capter le plus de lumière possible et essayer d'en déchiffrer quelques lignes.

Il n'eut pas le temps de tourner beaucoup de pages que sa camarade sortit de ses rêves. Il referma l'ouvrage en le claquant. Il voulait ainsi rapidement remettre Juliette dans le contexte de la situation. Il n'était pas non plus claustro, mais détestait l'inactivité, l'oisiveté. Il lui accorda quelques minutes avant de se redresser et d'entreprendre à deux d'ouvrir les portes à l'aide du pied biche. Elles commencèrent à s'ouvrir en grinçant. Un coup d'oeil rapide, la voie paraissait déserte. Ils continuèrent à faire levier pour écarter encore plus quand John détecta une ombre. Attiré par le bruit, un zomb' approchait !

Hors de question de s'enfermer à nouveau surtout s'ils étaient repérés. John bloqua l'ouverture de l'avant bras et, de l'autre, doigt tendu, désigna sa pile de livres posés au sol.

Livre !

Juliette lui tendit un livre juste à temps pour qu'il l'enfonce dans la gueule béante du zomb' qui leur tombait inopportunément dessus, l'empêchant ainsi de mordre. Il laissa à sa partenaire le soin de lui défoncer le crâne (au zomb', pas à lui !).

Ils avaient libéré les zomb' enfermés dans une pièce de la bibliothèque et ils s'étaient maintenant dispersés partout dans les lieux rendant leur sortie du bâtiment difficile. Plusieurs de ces créatures s'étaient pris les pieds dans les "pièges" sonores qu'ils avaient installés dans la grande salle principale. Cela avait eu l'effet d'attirer tout ce qui rodait à cet endroit.
Les vases communiquants ! Si ça s'était rempli ici, ça avait dû se vider à côté, dans cette pièce qu'ils avaient visité la veille et où ils étaient tombés sur un cadavre et une grosse troupe de zomb'.
John s'y rendit d'un pas assuré, ses deux livres restant sous le bras. Il avait vu juste. Du cadavre, il ne restait qu'une bouillie liquide au sol et une carcasse éparpillée aux quatre coins de la pièce. Sur le côté, la porte défoncée qui avait déversé sur eux les flots de l'enfer.
Pas le temps de fouiller ni même d'y jeter un oeil. Il se rendit direct à la fenêtre brisée. Juliette l'avait rejoint. Il y avait là leur sortie de secours. Il se servit d'une chaise pour dégager les morceaux de verre tranchants du cadre de la fenêtre et pour éviter une blessure idiote. Le bruit pourrait attirer du monde, mais ils auraient eu le temps d'ici là d'enjamber et sauter au pied du bâtiment, à l'extérieur.

Il balança ses bouquins en contre-bas et descendit en premier. Puis il se retourna pour aider sa partenaire.
Dehors !
C'était le petit matin. Semaine 6, jour 4. Un début de pluie fraîche.

Il avisa un taxi à la portière ouverte, abandonné au milieu de la rue.

Mettons nous à l'abri en attendant une éclaircie. Ce sera toujours plus confortable que cet ascenseur.

Le membre 'John Doe' a effectué l'action suivante : Lancer de dés

'Dé du Destin' :

Enfin. Enfin, nous étions sortis de cette bibliothèque infernale. Quelle idée stupide j'avais eue de m'aventurer là-dedans ! Le côté positif, c'était que j'avais rempli mon objectif : j'en savais désormais bien plus qu'avant sur l'épidémie et les monstres qui rongeaient la ville.

L'air frais du petit matin me ravissait. Le monde appartient à ceux qui se lèvent tôt. Et qui réussissent à passer une nuit de plus en tant que vivant. Pour la première fois de mon existence, la pluie m'était agréable. Habituellement, je détestais me retrouver trempée par l'eau froide crachée par les nuages ou pire, être décoiffée. Mais je ne me souciais plus de ma coiffure à présent et l'eau qui s'infiltrait dans mes vêtements et me faisait grelotter de froid était la preuve délicieuse que j'étais toujours en vie.

John désigna un taxi abandonné au milieu de la voie comme abri provisoire. Le froid qui s'imprégnait en moi me poussa à accepter. Une fois les vérifications de sécurité effectuées (non, il n'y avait pas de monstre sur la banquette arrière ou dissimulé dans le coffre prêt à nous sauter dessus), je m'installai côté conducteur tandis que John prenait place côté passager. Une fois les portes fermées, nous étions à l'abri de la pluie et des créatures. Bien que ce sentiment de sécurité n'était que relatif, je me détendis un peu et engageais la conversation avec mon compagnon. Je désirais en savoir plus sur les morts-vivants et il répondit à mes questions. Afin de passer le temps, je lui racontai ma passion pour la thanatopraxie et mon désespoir de voir autant de potentiels sujets vagabonder dans les rues en se décomposant petit à petit au lieu de me les laisser les rendre présentables une dernière fois.

La pluie finit par s'estomper et le ciel comme les rues étaient désormais dégagées. Pour survivre dans cet enfer, il était nécessaire d'être en constant mouvement et le taxi n'offrait pas une réelle protection en cas d'attaque groupée des créatures.

Avec un sourire, je fis mes adieux à mon camarade :

-C'était un plaisir d'avoir survécu avec vous cette nuit. J'espère que ce cauchemar prendra vite fin et que notre prochaine rencontre se passera dans un contexte plus agréable. Qui sait, peut-être même que d'ici là j'aurai obtenu mon diplôme. Bonne chance et tâchez de ne pas mourir.

M'extirpant du taxi, je serrai mon pied de biche qui était désormais ma seule arme contre l'univers.

Une nouvelle journée commençait.

Une journée de plus où les monstres n'auront pas ma peau.

Une journée de plus où j'aurai la leur.