Je souris alors qu’Alexander répond positivement à ma pseudo demande en mariage. Pour le pire, ça c’est sûr. Je crois, j’ose espérer du moins, que le pire est ce que nous vivons maintenant, et ce que nous avons laissé derrière nous. J’aimerais qu’il n’y ait que le meilleur à venir, mais je crois que ce serait trop beau. Je suis peut-être au bord de l’évanouissement, mais je ne suis pas devenu complètement stupide. Il y aura encore de mauvaises choses, mais nous nous en sortirons. Je le sais. La preuve, je suis debout. Mon bras valide agrippe Alex alors que lui aussi m’attrape pour m’aider à marcher. J’ai cette horrible impression d’être un boulet accroché à la cheville de mon ami, mais je suis incapable de marcher tout seul, et incapable de lui dire de me laisser. Je ne veux pas qu’il parte, à cette pensée, je resserre un peu plus ma prise sur lui. Je veux qu’il soit là, qu’il reste, alors je m’efforce d’oublier que j’ai la tête qui tourne. Je me force à mettre un pied devant l’autre, à garder les yeux ouverts. Je ne peux pas me permettre de m’effondrer parce que ça le mettrait en danger. J’ai les jambes en coton, des fourmis dans les doigts et la gorge sèche, mais tout ce à quoi je pense, c’est Alex. Sa main qui tient ma veste, son corps qui empêche le mien de s’écrouler, c’est sur tout ça que je me concentre. Je n’arrive pas à décrocher un mot mais je ne crois pas qu’il m’en tiendra rigueur. Sa torche éclaire notre chemin et je fixe mon regard sur son faisceau, je ne cligne plus des yeux parce que j’ai peur qu’une demie seconde soit suffisante pour que je m’endorme.
Dans la nuit noire, nos pas se perdent. Je n’ai aucune idée de la direction dans laquelle nous marchons et je doute qu’Alexander sache où nous allons. Mais si nous nous arrêtons, nous sommes trop en danger, alors je ne dis rien et je continue, essayant d’éviter les racines qui attrapent mes pieds. J’ai de plus en plus de mal à les lever, je crois, mais je ne sens plus la douleur dans mon bras. Je m’y suis habitué, à vrai dire. Bien sûr, la coupure pique toujours énormément, je pourrais la dessiner au millimètre près, mais je n’y fais plus attention. Je n’ai même pas peur non plus, je suis trop épuisé pour ça. Et puis sans que je ne m’y attende, le faisceau de la lampe remonte à la verticale. Mon cœur fait un bond avant même que je ne comprenne ce que je vois. Un mur. Une cabane. Dans ma tête, j’essaie de me parler pour analyser la situation clairement. Alexander me lâche et je vacille à nouveau, trouvant appui contre un arbre. J’ai envie de crier et de courir derrière lui. Maintenant qu’il m’a lâché, j’ai peur. Je le regarde avancer vers la cabane en bois et je n’ai qu’une envie : que nous partions d’ici. S’il ouvre et que quelque chose lui tombe dessus, si c’est un piège, je m’en voudrais toute ma vie de ne pas y être allé avant lui. «
Fais attention s’il te plaît… » Je ne crois pas qu’il m’entende, moi-même j’ai du mal à entendre ma voix. Je tiens sa lampe d’une main tremblante en me demandant pourquoi il ne l’a pas prise avec lui. C’est vrai quoi, il en a plus besoin que moi… D’autant plus que je tremble tellement que l’éclairage tremble lui aussi, me donnant juste un peu plus envie de vomir. Il ne verra rien à l’intérieur, il faut que je l’aide.
Je serre les dents quand il ouvre la porte, terrifié à l’idée que quelque chose ou quelqu’un pourrait s’attaquer à mon meilleur ami sans que je ne sois capable de le défendre. En m’appuyant sur des arbres et en forçant sur tout mon corps comme jamais, j’arrive à l’entrée de la cabane. Alexander est déjà entré depuis un court instant mais au moins, je peux éclairer un peu ses pas pendant qu’il fait le tour de la pièce. Appuyé contre l’encadrement de la porte, je m’efforce de regarder moi aussi si je ne vois pas quelque chose qui pourrait représenter un danger. Mais rien. Alors j’entre, je ferme la porte comme je peux et je titube jusqu’à un coin de la pièce où, enfin, je me laisse tomber. Mon corps tremble, j’ai froid. Mais au moins nous sommes en vie tous les deux. Demain, nous retrouverons notre chemin, nous retrouverons Kaitlynn et River. Tous les deux. Un sourire épuisé traverse mon visage et je relève les yeux vers mon ami. Il a barricadé la porte, sécurisé l’endroit au maximum. Tout ira bien, je le sais. Cette cabane me réconforte, j’aimais bien aller en forêt avant, ces abris sont là pour servir de refuge aux perdus et c’est exactement ce que nous sommes.
Mon ami revient vers moi et je lui souris pour seule réponse à sa question. Tout mon corps semble peser des tonnes, le moindre de mes mouvements me semble demander une énergie folle, même parler. Il sait, il comprendra. Je commence à sombrer dans le sommeil, toujours assis, quand quelque chose se pose sur mes épaules. La couverture sent le bois et je me blottis dedans comme si c’était la meilleure chose du monde. Pourtant il manque quelque chose. Alexander s’assoit à côté de moi mais je sens sa nervosité comme si elle était mienne. Personnellement, je ne suis plus capable du moindre ressenti. Je suis neutre, calme, parce que je n’ai plus la force pour autre chose. Lui aussi, il devrait dormir. Nous sommes en sécurité ici, barricadés comme nous le sommes. Et même si quelqu’un voulait forcer la porte ou quelque chose dans le genre, le bruit nous réveillerait. Nous avons besoin de toutes nos forces pour demain, et nous avons besoin de dormir pour reposer nos nerfs. Doucement, je m’approche d’Alexander en rampant plus ou moins et mets la couverture à moitié sur lui. La chaleur humaine a toujours été plus douce que celle d’une couette de toute façon. Je l’entraîne dans une position plus ou moins allongée et enfouis mon visage dans le creux de son épaule. Le sol de la cabane n’est pas des plus confortables mais je crois que nous avons connu pire. «
Il faut que tu dormes. » C’est tout ce que j’arrive à souffler. Et puis je me blottis un peu contre lui en fermant les yeux, parce que j’ai eu la peur de ma vie quand j’ai cru l’avoir perdu et que ça me fait du bien de l’avoir près de moi. Il est encore tendu, sur ses gardes. Il ne dormira pas comme ça. Alors sans vraiment m’en rendre compte, pour essayer de l’apaiser peut-être, je chuchote en essayant de les chanter les mots d’une berceuse dont je ne me souviens plus le titre.
© TITANIA