Alex commence à reprendre du poil de la bête, doucement mais sûrement. Je crois que ça va aller. Je l’espère de tout mon cœur. Depuis qu’il s’est fait tirer dessus, je dors à peine, je reste près de lui pour veiller sur son sommeil. J’ai trop peur qu’il lui arrive quelque chose. Je passe mon temps à m’inquiéter, ce qui n’a pas échappé aux autres. River a jugé bon de m’emmener faire un tour, laissant Alexander aux bons soins de Kaitlynn. Je fais totalement confiance à l’ex-pompier mais je ne suis tout de même pas tranquille à l’idée de le laisser. J’ai hésité un moment et finalement, nous sommes partis tous les deux avec River. Nous avons toujours besoin de trouver à manger, à boire, des vêtements, et du matériel médical. Alors je marche tranquillement avec le grand tatoué, regrettant presque d’être venu tant il me couvre de questions. J’ai à peine le temps de lui répondre, il enchaîne les questions sans s’arrêter et en un sens, c’est plutôt une bonne chose. Je n’ai pas vraiment l’habitude de parler de mes histoires, ni l’envie de lui raconter si oui ou non, Alex embrasse bien. Pas que je n’apprécie pas River, mais c’est un peu gênant je crois. Alors je me contente de dire oui oui, en souriant parfois, rougissant d’autres fois. Et intérieurement, je prie pour que quelqu’un fasse quelque chose parce que je n’ose pas lui dire qu’il m’emmerde. Je ne veux pas lui faire de peine et puis dans le fond, il est drôle.

Et soudainement, quelqu’un saute devant nous en nous interpellant, me faisant sursauter un bon coup au passage. Eh, mes prières ont été entendues ! River a enfin arrêté de poser des questions débiles, il passe même devant moi pour s’approcher de l’inconnu. Je ricane derrière lui de son attitude protectrice et je le suis. Instinctivement, ma main se referme sur mon hachoir. Depuis qu'Alexander a pris une balle, je me méfie de tout le monde. Je n'hésiterai plus, plus jamais. Que quelqu'un vienne un peu trop près sans y être invité et je crois que je le planterais sans hésiter. Je ne sors pas mon arme pour ne pas non plus avoir l’air d’un dingue, même si je ne suis pas sûr d’être vraiment menaçant. L’homme en face de nous crie que des militaires sont entrés dans son bar pour boire tout ce qu’il a et je me retiens de me foutre de sa gueule. Sérieusement, le commerce ? Je regarde l'homme avec un air soupçonneux, parce que cette histoire est un peu bancale. Cela dit, il est optimiste c’est déjà ça. L’espace d’un instant, j’imagine Joshua, en train de menacer le propriétaire d’un bar pour lui siffler tout son alcool en ricanant, mais je crois qu’il était plus gentil que ça. Je m’apprête à dire au pauvre monsieur qu’on ne peut rien faire pour lui, parce que nous n’avons pas d’arme non plus, quand River se retourne vers moi en me faisant des yeux de chiot battu. « Non mais River… » Et lui, il dit au type qu’on va l’aider, comme ça ! Il est con ou quoi ? Je proteste mais ce gros tas de muscles me traîne jusqu’au bar et à l’intérieur. Au secours.

Nous entrons donc dans le bar et je m’attends presque à me prendre une balle dans la tronche dès que nous passons la porte. Surtout quand j’entends River parler. Non mais il est vraiment con, c’est sûr maintenant. Je lui lance un regard effaré, mes yeux n’ont jamais été aussi ronds je crois. Il veut ma mort en fait. Je réfléchis à toute vitesse à une idée pour arranger la situation. Mais je suis sûr que je vais faire une gaffe, alors je me contente d’observer l’intérieur du bar, et les deux hommes qui ont l’air d’avoir déjà pas mal bu… Et je tente un sourire ? Super idée.

Les militaires nous accueillent finalement avec le sourire, mais ça ne me rassure pas pour autant. Je sens la catastrophe arriver, je la sens plus que jamais. Mon instinct me hurle de me tirer d’ici en traînant River par la peau du cul. Seulement je n’ai pas la force de le traîner derrière moi, et il est hors de question que je me barre sans lui. Je me contente de lui lancer des regards pressants, parce que je me fous que le type dehors perde son bar, par contre j’aimerais bien qu’on en sorte vivants. Et River, il n’a pas l’air de se rendre compte de ce qu’il fait, peut-être parce qu’il ne s’est jamais fait tabasser par des survivants, hum. Il me tape dans le dos, en se voulant amical et rassurant, et je fais un pas en avant sous la violence de l’impact. J’exagère un peu, peut-être, mais je ne m’y attendais pas alors je manque de tomber et je me rattrape comme je peux en faisant comme si tout était normal. Enfin, je tombe si souvent que je crois que c’est normal. Je fusille River du regard quand en plus, il en rajoute sur le fait que je ne me joigne pas à eux. Alors à contrecœur, j’approche du bar et je m’assois sur l’un des tabourets. J’attrape le verre que le militaire me tend et j’ai la soudaine envie de tout boire d’un coup pour ne pas avoir à assumer les trois prochaines heures. Pourtant je me ravise, je pose le verre sur la table et je laisse River mener ses négociations pour essayer de faire boire aussi les militaires. Même s’ils ont déjà l’air pas mal alcoolisés. J’essaie même de prendre un air sympa quand il leur demande de nous rejoindre pour le cocktail spécial, qui a plus l’air de poison qu’autre chose.

Pourtant je crois qu’il ne faut pas aller vers un affrontement direct avec eux. Nous avons des couteaux et une guitare, eux des fusils. Je crois que la question ne se pose pas, il va falloir que l’on se débrouille autrement que par la force – ce qui ne me change pas de mes habitudes en fait. Alors pour essayer d’engager les choses de manière positive, je m’accoude sur le bar pendant que le militaire joue encore avec les bouteilles. « C’est cool de voir encore des militaires dans le coin. Vous êtes là depuis longtemps ? Vous faites quoi ? Vous connaissez un Joshua ? » Je crois que je dis tout ce qui me passe par la tête, je n’ai jamais parlé autant de ma vie et je ne suis pas sûr que le type soit assez sobre pour répondre à tout. En attendant, je regarde un peu l’intérieur du bar. J’essaie d’apercevoir les issues possibles si jamais ça tourne mal pour nous, si nous ne pouvons pas sortir par la porte principale. Je cherche aussi les éventuels indices qui pourraient me dire qu’ils ne sont pas que deux, qu’il y a quelque part d’autres personnes dont il faut aussi se méfier. Je ne me sens pas à l’aise avec ces personnes que je ne connais pas, dans cet endroit que je ne connais pas. Mais je fais semblant de m’intéresser à la déco, je tourne un peu sur le tabouret pour lire ce qui est écrit sur une affiche miteuse.

La révélation du type affalé dans le canapé me fait ouvrir de grands yeux. Tout faire péter ?! J’espère qu’il dit ça parce qu’il a bu, pourtant l’autre gars en rajoute dans ce sens. Plus rien à faire, il est marrant lui. Et ceux qui se battent pour survivre ici alors ? Une petite révolte nait en moi face à cette injustice, et je note dans un coin de ma tête qu’il faudrait peut-être qu’on songe à s’éloigner d’Oakland pendant qu’on en a encore le temps. Il faudra que j’en parle à Alexou et River, quand on rentrera. Je note aussi qu’il vaut mieux ne rien dire aux soldats, et je me contente de hocher vaguement la tête pour lui répondre. Mais celui qui est le plus bourré des deux ne manque pas une occasion de se taire. Il nous demande inévitablement notre avis, et pendant que je cherche une réponse c’est River qui reprend la parole. Pour une fois, il donne une réponse qui me paraît plus ou moins bonne, dans le sens où on ne se fera peut-être pas tirer dessus pour ça. Je le surveille du coin de l’œil avant de hausser les épaules, pour répondre à mon tour. « Pour nous la méthode pacifique ça serait moins douloureux ! Mais je peux comprendre pourquoi on peut vouloir tout faire péter… » Voilà, une bonne réponse qui n’engage rien et basta.

J’ai à peine le temps de souffler que le type du canapé se remet à gueuler en parlant soudainement de Joshua. Un grand blond ? Olala. Je ricane quand l’autre demande s’il avait l’air con, avant de secouer la tête. « Naaan, c’était un petit brun. Mais peu importe, je voulais juste avoir de ses nouvelles. » Le bourré crie qu’il est mort en levant son verre et un frisson glacé me traverse. Je n’ai peut-être croisé Josh que deux fois dans la ville, mais déjà deux fois par hasard c’est beaucoup. Et puis de nos jours, des rencontres amicales c’est devenu rare. Mais je chasse rapidement le petit soldat de mes pensées et je m’accoude au bar.

Tout à coup, c’est la pagaille. Le bourré tape un grand coup dans l’épaule de River pour le forcer à boire, pendant que l’autre hurle et traverse le bar. Est-ce que ce serait pas le moment de s’enfuir discretos ? Non. River fait semblant de boire en se croyant probablement discret, et moi j’attrape mon verre pour goûter une gorgée. Une toute petite, juste pour savoir si le cocktail de la mort est réellement un délice, ou simplement un poison. Je bois et pendant que je signe mon arrêt de mort, River fait de même en posant à nouveau une question délicate. Et je me demande s’il cherche à nous tuer. Pourtant j’en rajoute une couche moi aussi, sans faire exprès. « C’est qui ce type dehors ?? »