Le regard perdu dans le feu que j'ai allumé pour faire cuire les aliments, je ne pense plus à rien. En vérité, je ne pense plus tout court depuis longtemps. Les cris, les pleurs et les cauchemars hantent mon esprit depuis un peu moins d'un mois précisément. Plongé dans un état semi-végétatif, je me contente de survivre, comme tout le monde ici.

J'agite les braises avec le bout d'une tige de métal dénichée près de la cheminée, les genoux repliés sur la poitrine. Nous sommes désormais en avril et la météo devient plus clémente, mais la chaleur du feu m'apporte une forte de réconfort. Inconsciemment, ma main parcourt les différents pots d'épices que j'ai pu trouver dans les placards. J'en ouvre même certains sans quitter le feu des yeux. L'odeur qui me monte aux narines m'apaise un instant, comme une douce caresse. Mes traits tirés par la fatigue se dérident légèrement. Pendant une fraction de seconde, j'ai l'impression de revivre. Les doux souvenirs de "ma vie d'avant" me reviennent en mémoire, lorsque je jouais avec les épices avec précision dans mon prestigieux restaurant qui n'est probablement plus que ruine désormais. Malgré la lueur triste qui ne quitte plus mon regard, un mince sourire satisfait éclaire mon visage alors que les gestes me reviennent instinctivement. Voilà une éternité que je n'avais pas cuisiné.

Alors que les bonnes odeurs parfument doucement la pièce, la faim se fait plus forte. Voilà un repas qui aurait le mérite de nous remonter le moral. Il devient de plus en plus difficile de se nourrir convenablement – un drame pour mon âme de cuisinier – mais surtout pour les survivants en galère que nous sommes. En plus de la lourde fatigue psychologique dans laquelle nous stagnons depuis la-semaine-de-l'apocalypse, la faim et le manque de repos nous affaiblissent aussi physiquement. Quittant un instant le sol, je me relève pour traîner ma carcasse jusqu'au placard de la cuisine où j'y attrape deux assiettes. Les autres ne sont pas avec nous aujourd'hui. Une nouvelle fois, c'est juste William et moi. Comme ce fameux jour. Je sais très bien que l'horreur de ces souvenirs assaillent William de la même façon, sinon plus violemment encore. « Will ? » J'espère que ce repas lui remontera un peu le moral. « William ? » Je l'appelle une nouvelle fois un peu plus fort, brisant le silence apaisant qui règne dans la maison où nous avons choisi de nous reposer un instant. Il ne tarde pas à apparaître alors que je m'occupe à dresser les assiettes comme un pro. Pendant ce court moment de légèreté, je m'évade de cet enfer étouffant et j'entends presque les bruits de ma cuisine et de mon équipe qui s'affaire autour de moi. « Allez mange, faut regagner des forces. » Je tends une assiette à William qui s'est installé à la table et j'arrive même à lui faire un petit sourire. Pendant un instant, j'ai la naïveté d'espérer. Peut-être qu'un jour toute cette histoire ne sera qu'un vieux cauchemar. Peut-être que l'on pourra s'évader loin d'ici et se reconstruire d'une manière ou d'une autre. Peut-être. Un soupir m'échappe alors que je plante ma fourchette dans le festin. La nourriture me réchauffe l'estomac et le cœur. La petite étincelle de vie qui survivait au fond de moi se rallume timidement. « Le quartier est tranquille, on devrait pouvoir trouver quelques trucs pour le groupe avant la tombée de la nuit. » J'informe William d'une petite voix, comme pour me convaincre moi-même. Non, il ne va rien nous arriver. Il ne peut rien nous arriver. N'est-ce pas ? Angoissant questionnement perpétuel.

Une fois le repas terminé, je me sens presque vivant. Je soupire en me laissant tomber en arrière. J'avais déjà oublié ce sentiment de satisfaction d'avoir le ventre plein. Je ferme les yeux et savoure un court instant ce moment de silence et de calme. La cuisine, il n'y avait désormais rien de mieux pour m'apaiser. Je me laisse encore un peu bercer par les souvenirs d'une vie normale alors que William quitte la table.

Finalement je me force à revenir à la réalité. Même si ça ne me plaît pas, nous sommes des survivants. On ne peut pas se contenter de rester sur place à attendre que les choses passent. On est encore responsable les uns des autres. Et puis on ne peut pas laisser Kaitlynn et Setsuna se débrouiller seules pour tout le groupe. On ne peut pas se permettre de les entraîner avec nous dans cette mort lente, qui ne nous affaiblit pas physiquement (et encore!) mais qui nous ronge petit à petit de l'intérieur. Alors je saute sur mes pieds, il est temps de se bouger. Déjà j'entends William revenir.

Alors qu'il se dirige doucement vers la porte, légèrement hésitant, j'attrape mon sac et je le jette sur mon dos. Avant de le rejoindre, je jette un coup d'oeil discret à la fenêtre pour vérifier que la route est libre. Aucune horde en vue, je rejoins donc William. Positionné juste derrière, je suis prêt à lui prêter main forte si quelque chose déraille. Aucun de nous n'ose faire le moindre bruit, concentrés sur cette porte qui peut renfermer tant de choses, on le sait tous les deux que trop bien. William l'entreouvre alors que je resserre ma prise sur mon couteau. Envolés les bons souvenirs, notre chère amie la peur referme à nouveau ses griffes sur nous. Mais alors que William sort prudemment en premier et que je le suis de prêt, un phénomène tout à fait inattendu nous fige tous les deux.

Sur le moment, je n'y crois pas. L'expression effarée de William est légendaire. Pendant ce court instant où aucun de nous ne sait comment réagir, je grave à tout jamais cet instant dans mon esprit. L'instant suivant, s'en est trop, mon visage figé dans la surprise se tord soudainement dans une grimace alors que je tente de retenir un éclat de rire. Mais face à l'expression mi-contrariée mi-amusée que William me lance, je ne tient pas. J'explose de rire comme jamais alors que le papa roux fait de même en retournant à l'abri. J'en pleure presque, secoué par un rire incontrôlable. Lorsque j'arrive à peu près à me calmer, le moindre regard vers William qui s'essuit les cheveux sur un coussin me fait repartir de plus belle. Je suis obligé de m'assoir et de me forcer à respirer un moment pour me remettre de mes émotions.

J'ai les nerfs en pelote, tout comme William. Cette petite blague qui nous aurait normalement fait rire 2 minutes m'a plongé dans un rire hystérique de 5 bonnes minutes. J'essuie finalement mes petites larmes d'un revers de manche et me relève en soufflant pour retrouver un minimum de contenance. "Bon on y retourne ? ... J'ouvre la marche cette fois si tu veux.. Ahahah..." Je manque de repartir une énième fois dans un nouveau rire, mais mes abdos douloureux demandent grâce. Finalement je franchis une nouvelle fois le seuil de la porte avec prudence, sans pouvoir empêcher un léger sourire de traîner sur mon visage. Et alors que la porte se referme derrière nous, je ne remarque même pas cette petite boîte de haricots verts appétisante que je laisse à la merci des zombies en manque de légumes.

Alors que l'on se glisse discrètement et prudemment dans les rues du quartier, William finit par désigner une maison qui ne semble pas avoir été forcée. Il reste une petite chance qu'elle n'ait donc pas été pillée. On peut deviner à sa façade que la bâtisse est abandonnée depuis un moment. Avec un peu de chance les propriétaires étaient en vacances au moment du drame. En tout cas c'est ce que je leur souhaite. J'acquiesce face au choix de mon camarade roux et nous nous dirigeons vers la porte. Celle-ci cède sans difficulté et nous nous introduisons dans l'entrée à la manière de cambrioleurs, alerte au moindre bruit. On ne sait jamais, il suffit d'un contaminé. Un seul. Et c'est la fin.

Alors que William commence déjà à ouvrir les premiers placards de l'entrée, j'ai encore du mal à baisser ma garde. Après avoir quitté notre refuge, je ne me sens pas à l'aise. On ne sait jamais ce que cache un coin. Les propriétaires des lieux errent peut-être encore au hasard. Ou alors eux aussi ont peut être été victimes de bandits sans morale, de la même manière que Mary. Après tout ce qu'on a déjà traversé, j'ai fini par apprendre ma leçon. On doit s'attendre à tout. On ne peut avoir confiance en personne. Il n'y a plus de place pour la naïveté et la générosité. Il faut jalousement protéger ceux auxquels on tient et puis c'est tout. Mais que faire si l'on a plus personne ? Mourir ? C'était ça ma solution ? Fatigué de toutes ces réflexions qui finissent toujours de la même façon, mon regard se pose soudainement sur un aquarium au fond de la pièce. Il ne reste plus qu'un petit poisson, seul dans ce monde hostile qui ne lui offre aucune chance de survie sans nourriture. Pourtant il remue obstinément les petits caillous, farfouille les décors et se glisse au milieu des algues à la recherche de la vie. Sait-il seulement qu'il est condamné ? Ne vaudrait-il pas mieux mettre fin à ses souffrances maintenant ? Voilà qui lui épargnerait bien de la fatigue pour une même fin. Pourtant, dans un geste inconsciemment bienveillant, ma main s'empare du petit pot de nourriture. J'en vide une bonne partie dans l'eau en espérant qu'une autre bonne âme repassera un jour dans le coin pour lui permettre de vivre.

Alors que j'observe le petit poisson se précipiter sur la nourriture sans savoir si je venais vraiment de faire quelque chose de "bien", un bruit terrible me fait sursauter. Mon coeur rate un battement et dans la surprise je me replie sur moi-même. On dirait que la maison toute entière s'écroule alors que j'entends William crier en même temps. Je réalise l'instant suivant que je n'ai rien et je m'empresse de me saisir de mon arme en guettant l'ennemi. J'ai baissé ma garde ! Comment ai-je pu ?! William est peut-être mort ! Qu'est ce que je vais dire à Kaitlynn et à Setsuna ??! Je sens mon coeur exploser dans ma poitrine et il devient plus difficile pour moi de respirer. Je dois me calmer. Respirer. Réfléchir. Je me colle au mur tandis que mes yeux fouillent la pièce d'un air fou. Dans chaque coin d'ombre quelque chose remue. Quelque chose m'observe, je le sens. Nous n'aurions jamais du entrer ici. Une petite voix dans ma tête me hurle de partir. L'envie de prendre mes jambes à mon cou est trop forte. Je déteste cet endroit. Je m'empresse de retourner vers la porte d'entrée quand je tombe sur le trou creusé dans le sol. Mais ce qui m'arrête, c'est la voix.

"William !" Je n'ose pas m'approcher. J'ai l'impression que la maison toute entière essaye de nous avaler. Je veux partir. Je dois partir. Pourtant William m'appelle à l'aide. Je me mords les lèvres alors que mon regard suppliant se pose sur la porte. Il me suffirait de tendre la main pour fuir cet endroit maléfique. "William je..." J'étouffe avant de finir ma phrase. Il y a quelque chose dans cette maion. Je le sens. Je le sais. Ca se rapproche. "Je suis désolé..." Je murmure à peine. Je ne suis même pas sûr que William puisse m'entendre. Mes jambes ne me supportent plus, mes mains tremblent. Je ne peux pas l'abandonner. Je ne peux pas rester. Je ne sais pas quoi faire. L'inquiétude m'étouffe. William a besoin de moi et je ne sais pas quoi faire. Cette maudite porte ! Elle me hurle des menaces ! Je peux l'entendre ! Elle me hurle d'ouvrir et de fuir avant qu'il ne soit trop tard. Avant que je ne finisse comme William.

Non ! Je ne veux pas être seul ! Je ne peux pas. William, Kait' et Setsuna sont mes seules bouées. Si je les abandonne, je m'abandonne avec eux. Je ne saurais plus distinguer la réalité de toute cette folie qui me harcèle. Alors je prends mon courage à deux mains, et même si je suis mort de peur, je m'approche un peu du trou pour m'adresser à nouveau à mon camarade en détresse. "William j'arrive ! Fais attention ok ?" Je suis incapable de cacher l'inquiétude qui règne dans ma voix. Je m'éloigne presque aussitôt de cette bouche sombre qui semble donner droit sur l'enfer. M'appliquant pour inspirer et expirer aussi normalement que possible, j'essaye de ne pas paniquer mais je tourne plusieurs fois sur moi même, débordé. Droite ? Gauche ? Elle est où cette foutue porte. Vite. Vite me dit la maison. Je dois partir.

J'arrête de réfléchir. Mentalement, je ne répète plus que le nom de mon ami. Je dois chasser les autres voix qui m'empêchent de me concentrer. J'ai l'impression de me jeter sur le bûcher en sachant pertinemment que ça va brûler, mais je dois le faire. Pour William. Pour moi aussi. Je tourne à gauche. Au bout du couloir, je remercie le ciel quand je trouve une porte blanche. Sans doute celle qui donne sur la cave. "William j'ai trouvé la porte !!" Je hurle sans m'inquiéter de ce qui pourrait m'entendre. Je tire sur la poignée, désespéré de rencontrer une résistance. J'ai envie de pleurer, je ne comprends pas pourquoi on a pas le droit d'être un peu tranquille. Pourquoi le sort s'acharne sur nous comme ça. Finalement, on aurait peut-être mieux fait de rester dans notre petite maison à rigoler de la nouvelle coiffure de William. Mais sans lui je n'aurais pas ris. Alors je me reprends. Cette constatation me fait l'effet d'une baffe et je tente de me concentrer. Je recule de deux pas et je met un gros coup de pied dans cette foutue barrière. Elle cède sous le poids de toute la colère et la peur que je lui balance d'un coup. Sans attendre, je me précipite dans les escaliers. L'obscurité est forte à cause de la panne d'électricité. Pas moyen d'avoir de la lumière. Tant pis, il ne faut pas hésiter. Il ne faut plus. Je n'ose même pas penser que j'ai pu songer à abandonner William ici. Je le vois, il est au sol. Je me précipite tout droit vers lui, marchant les mains devant pour éviter de me ramasser en même temps. "Est-ce que ça va ?" Mes tremblements se calment dès que mes yeux se posent sur lui. Je ne suis plus seul. Tout ira bien. Je l'aide à se relever tout en regardant nerveusement tout autour de nous. "Allez faut se casser d'ici." Aussitôt dit aussitôt fait, je l'aide à grimper l'escalier salvateur pour sortir de cette prison plus qu'anxiogène. Ce n'est qu'une fois de retour à la lumière que je le transporte jusqu'à un fauteuil pour examiner sa cheville.

Je m'éloigne un peu de William dès qu'il est assis. Je tremble encore un peu malgré le fait que nous somme sains et saufs. Il y a eu plus de peur que de mal. Du moins j'essaye de m'en convaincre en me le répétant encore et encore alors que mon camarade roux examine sa cheville. Je suis encore trop nerveux pour rester sur place et je ne peux m'empêcher de faire les cents pas. La porte, elle m'a parlé. J'en suis sûr elle m'a parlé !! J'aimerais pouvoir prévenir William, lui dire qu'il faut s'en aller sur le champ, mais j'ai peur. Que dira t-il ? Que fera t-il ? Aura t-il peur de moi ? Me laissera t-il seul ici ? Cette idée me terrifie encore plus alors que je tente d'étouffer mes angoisses. Je dois me contenter de faire ce qu'on attend de moi. William est mon repère, mon seul guide pour la réalité à travers ce monde de fou. Je pose un regard inquiet sur lui alors qu'il bande sa cheville meurtrie. William est blessé. Si je le perds, je ne sais pas ce que je ferais. Je ne pourrais pas continuer. C'est sûr. Il ne faut pas tarder. Il faut retrouver Kaitlynn. Si seulement je pouvais trouver un endroit sûr pour les enfermer et les protéger loin de ce cauchemar...

Finalement, comme si mon précieux acolyte avait perçu mon malaise, il se relève et décide qu'il est temps de partir. J'acquiese immédiatement. William refait référance au pigeon et me sourit. Je ne peux m'empêcher de le lui renvoyer, malgré me regard toujours inquiet. Il boitille et ça me fait mal au coeur. J'aimerais pouvoir prendre sa douleur. J'aimerais pouvoir remonter le temps. Pourquoi tout cela doit-il arriver ? Qu'est ce qu'on a fait pour mériter ça ? Tout ça à cause d'un putin de vaccin ! Je secoue la tête, nerveux et en colère, suivant le roux de quelques pas derrière. Quelle connerie ! On avait voulu se croire plus fort que la nature, et voilà où on en est maintenant. C'est presque bien fait pour notre gueule. Je meurs d'envie d'avoir le responsable du programme du vaccin sous la main. Là, maintenant, tout de suite. Je serre mon arme à m'en faire rentrer les ongles dans la peau. Finalement, je crois que je peux encore tuer.

William a choisi une nouvelle maison. Je tente de me reconcentrer sur notre sortie. On a assez merdé pour aujourd'hui. Rien ne doit plus nous arriver. Je me met la pression tout seul alors que nous pénétrons prudemment dans la nouvelle maison, après s'être assuré que les rénovations n'étaient pas trop anciennes. William se dirige vers la cuisine alors que je balade nerveusement mon regard dans l'entrée en tendant l'oreille. J'ai à peine le temps de le rejoindre qu'il me tend un paquet de Curly, les yeux brillants de fierté. Première bonne nouvelle de la journée. Voilà qui à le mérite de détourner mon attention. J'oublie un instant mon inquiétude et je lui décroche un sourire. "Amen !" Je lève les mains vers le ciel et retrouve même le courage de rigoler un peu. Après tout, peut-être que le sort a retrouvé le chemin de la raison ? Peut-être même qu'un paquet de riz se cache derrière ce placard à ma portée ?? Porté par l'espoir, je pointe le placard du doigt avant de déclarer haut et fort "QUE LA FORCE SOIT AVEC NOUS". Bim, j'ouvre le placard à la volée. Mes yeux s'ecarquillent et j'en perd ma machoire. Je jette un coup d'oeil complètement perdu à William pour être sûr que je n'hallucine pas. J'hésite un court instant et puis je tends une main timide pour me saisir du paquet. Non, il est bien réel ! Je ne rêve pas !! Je l'attrape tout à fait et le montre à mon ami avec le même sentiment de victoire que lui. "Ca marche !!" Je bafouille comme si je venais de voir le Père Nöel. Je n'y crois pas ! Mais avouez qu'un placard invoquateur de bouffe, c'est pas tout les jours qu'on en trouve. Particulièrement en temps de crise comme celle-ci !

On rigole comme des gamins qui viennent de faire une blague super réussie. On vient de tromper le destin et on est super fiers de nous. Putin pour une fois on a la chance de notre côté ! J'inspire et j'expire comme si l'on vient de me doter d'une nouvelle vie. Je me sens presque invicible et j'ai l'impression que le destin vient de basculer. Allez, à ce rythme un hélico va débarquer dans la soirée pour nous sortir de là ! ...Bon ok, je m'emballe. Mais j'en ai rien à foutre. Après tout ce qu'on a pu traverser, il faut savourer la moindre petite victoire. Là maintenant tout de suite, c'est l'hystérie. On est instoppable. J'ai le sentiment de pouvoir obtenir tout ce que je veux.

William quitte la cuisine pour explorer le salon et je le suis après avoir soigneusement rangé le riz dans mon sac. Au passage je réalise qu'il est vide. Bizarre, j'étais pourtant sûr d'avoir gardé une boîte de haricots en réserve... Mais je ne sais plus vraiment ce que je fais parfois. Alors je hausse les épaules et je préfère profiter de cet instant plutôt que de me prendre la tête. Alors que je rejoins mon acolyte roux, je le trouve affalé dans le canapé en train de me tendre un paquet de cookie. Une scène qui nous aurait semblé tout à fait banale il y a quelques mois. Aujourd'hui, j'étais obligé de m'arrêter et de poser une nouvelle fois le regard sur William avant de réaliser que tout ceci était bien réel. Pris d'un doute, je me sens forcé de relever ma manche et de me pincer pour vérifier que tout ceci n'est pas un rêve. Sans un mot, je lance alors un regard lourd de sens au William qui se goinfre déjà alors que j'attrape moi-même un biscuit avec un large sourire en coin. Je rigole alors qu'il fait remarquer qu'il aura fallu traverser - dans tous les sens du terme - beaucoup de choses avant de les obtenir. "C'est sur !" Je me laisse à mon tour tomber dans un fauteuil pas loin avant de croquer dans le cookie. "Mh.. ! Ché trop bon !" Et voilà, oublié les mauvais souvenirs, je profite pleinement de l'instant, comme transporté loin de tout ce cauchemar apocalyptique. Je pose un regard amusé mais surtout reconnaissant sur William. C'est grâce à lui si je ne sombre pas. Grâce à eux. William et Kaitlynn. Ils sont tout pour moi. Tout ce que j'ai. Tout ce qu'il me reste. Je dois les protéger quoi qu'il arrive. Après avoir profité de cet instant relaxant et revigorant, je me redresse finalement sur le bord du fauteuil pour me pencher vers William. "Alors, comment vas ta cheville ?" Par chance elle n'est pas cassée, il peut encore marcher. C'est vraiment la poisse de traverser le sol comme ça. Il aurait pu se faire bien plus mal, et cette seule idée me fait frissonner. Soudain une idée me traverse l'esprit. "Il y a peut-être une pommade dans la salle de bain !" Dans notre élan de chance subite, je décide de rester optimiste et d'aller voir moi-même sur le champ.

[EDIT : résultat de fouille = ZOMBIE...dé de caca]

Je bondis presque aussitôt sur mes pieds, comme persuadé que ma future trouvaille m'attends sagement dans le tiroir à pharmacie. Je tente une ou deux portes sans rien trouver. Ni zombie, ni salle de bain. Et soudain, mon sang se glace. Stoppé dans mon élan, je m'arrête net. Toute trace de joie a disparu sur mon visage et je deviens blanc comme un linge. Il y a des putins de zombie dans cette maison du miracle !!! Je suis tellement dégouté que je tire ma lame et j'ouvre la porte à la volée.

Comme gonflé à bloc par ce cookie magique que je vient d'ingurgiter, je déboule dans la pièce et je saute sur le zombie en lui hurlant dessus. RIEN ni PERSONNE ne va encore me fait chier aujourd'hui ! J'ai eu ma dose ! Le monstre est surpris par l'attaque mais tente de m'attraper avec ses petites mains vicieuses et ses yeux fous. Toutes dents dehors, il fait claquer sa mâchoir alors que je le repousse d'un coup de pied. "Putin vous me faites tous chier !!" Je n'en peux plus de ces trucs qui nous pourrissent tous nos bons moments et qui nous empêchent de vivre notre vie. Je n'en peux définitivement plus. BIM. Dans un moment de colère, je lui fiche mon couteau dans le crâne d'un geste net et précis. "Putin de vaccin à la con !!" Emporté par la colère, je continue de tabasser le cadavre qui s'écroule à mes pieds, sans même réaliser qu'il pouvait s'agir autrefois d'une vraie personne. Je m'en contrefout royalement. Je veux juste me défouler. "Putin de scientifiques de merde !" Alors que mes poings deviennent douloureux sans même que je ne m'en aperçoive, je sens que les larmes me viennent. Je suis dégouté. Tellement écoeuré de m'être fait volé ma vie aussi soudainement pour une raison aussi invraisemblable. J'allais me marier putin ! Avoir des enfants. Obtenir une autre étoile pour mon restaurant aussi peut-être. Tout ça, tout ça ça n'arriverait jamais ! A cause de quoi ?! Désormais des chaudes larmes coulent sur mes joues alors que je repense à toutes les longues discussions que j'avais pu avoir avec Mary sur notre avenir. Si seulement je pouvais nous envoyer un message. Juste un mot. Profite. Profite avant qu'il ne soit trop tard. Avant qu'on t'arrache ta vie, tes repères, tes espoirs. En cet instant, j'en veux au monde entier pour tout ce que j'ai perdu. Ou plutôt, pour tout ce qu'on m'a volé. "VOLEUR !!!" Je hurle sur le mort-vivant mort en le secouant, comme si j'allais pouvoir en obtenir des excuses. Je les déteste tant. Je les déteste tous.

La colère et les larmes m'aveuglent. Je n'ai plus vraiment conscience de ce que je tiens entre mes mains. Tout ce dont je me souviens, c'est que cette chose a essayé de m'attaquer. De me voler la dernière chose qu'il me reste, ma vie. Et je vais le lui faire payer. Je vais la faire souffrir, lui faire regretter. Je me fiche de la personne qu'elle a pu être avant. J'en ai marre de subir cette menace ! Marre de me cacher ! Marre d'avoir peur !! C'est eux qui devraient ramper dans l'ombre ! C'est eux les monstres ! On est pas des putins de nuggets !! Sans déconner, on nage en plein délire ! Qu'il y ai une épidémie passe encore. Mais une putin d'apocalypse zombie ?? Non ! Non, je refuse juste ! On est pas dans un putin de film ! C'est pas une putin de blague au goût douteux ! Il faut que ça s'arrête !

Je suis sur le point d'exploser la tête du zombie sur le bord de la baignoire lorsque quelque chose m'attrape par l'épaule. Non je ne m'arrêterai pas ! Pas tant qu'il en restera un debout ! Je relâche ma première victime et je fais un volte-face pour repousser mon nouvel assaillant d'un coup d'épaule. "Tu..n'es..qu'un MONSTRE !!" Je lui hurle dessus sans même l'identifier. Tout ce que je vois, c'est un monstre. C'est bien ça. Un monstre ! Il n'y a plus la moindre trace d'humanité dans ces choses qui nous traquent et qui nous emportent. Elles ne méritent aucune sympathie. Elles ont emporté la petite Rose sans la moindre compassion. Aveuglé par la rage qui m'a pris, comme possédé, je me jette sur lui avant de lui laisser la moindre occasion de me mordre. Je me suis complètement refermé. Je ne comprends plus ce que je fais vraiment, ce qu'il se passe vraiment.

Ce qu'il se passe, c'est que je défoule toute ma colère sur William. Je lui hurle dessus comme si tout était de sa faute. Comme s'il était seul responsable de tout ce cauchemar. De Rose, de Mary, de Setsuna peut-être aussi. Je le menace, lui assure qu'il ne m'aura pas moi. Et puis je le frappe. C'est sa faute. J'en suis sûr. C'est lui le meurtrier. La cause de tout ceci. Il essaye de m'arrêter, mais je vais le tuer. Je vais le faire disparaître. Et tout redeviendra normal.